Des vidéos pornos faites avec n’importe quel visage d’enfant trouvé sur Facebook
Des pédophiles ont désormais recours à la technologie de l’hypertrucage — mieux connu sous son nom anglais de deepfake — pour créer encore plus de pornographie juvénile. Ils utilisent des photos et des vidéos d’agressions sexuelles d’enfants et y remplacent leurs visages par ceux de jeunes qu’ils ont trouvés un peu partout, dont sur Facebook, là où leurs parents affichent fièrement des photos de leur progéniture.
Et le phénomène va prendre de l’ampleur, avertit la Sûreté du Québec (SQ), qui y va d’une mise en garde aux parents : attention à ce que vous mettez en ligne.
« Malheureusement, il n’y a pas un enfant qui est à l’abri de cette forme d’exploitation là », a déclaré en entrevue au Devoir René Morin, porte-parole du Centre canadien de protection de l’enfance. Car cette technologie, soutenue par des logiciels utilisant l’intelligence artificielle, « permet de commettre des crimes qui pourraient mettre en cause virtuellement tous les enfants de nos communautés », écrit le juge Benoit Gagnon, manifestement choqué, en envoyant en prison un homme qui a produit de la pornographie juvénile de cette façon.
Un simple extrait vidéo d’un enfant disponible sur les réseaux sociaux — ou même une capture vidéo subreptice d’enfants tournée dans un lieu public — « pourrait les transformer en victimes potentielles », poursuit le magistrat de la Cour du Québec dans sa décision rendue le mois dernier. « Ça donne froid dans le dos. »
Selon lui, cette affaire criminelle serait une première devant les tribunaux. « La situation sous étude est unique dans les affaires judiciaires au pays puisque la criminalisation d’une production de pornographie juvénile sous la forme d’hypertrucage est inédite. »
Une « collection » record
Les autorités policières ont arrêté Steven Larouche, un sexagénaire de la région de Sherbrooke, en décembre 2021. Dans son ordinateur, elles ont trouvé un nombre considérable de fichiers photo et vidéo : plus de 545 000 — une quantité « qui donne le vertige », écrit le juge Gagnon.
Quant aux fichiers que l’accusé a créés en se servant d’un logiciel d’hypertrucage, il y en avait 86 000. Cela ne représente toutefois pas autant de vidéos : il faut de nombreuses images pour qu’un logiciel puisse mémoriser les expressions faciales afin de remplacer de façon réaliste un visage par un autre, qui s’anime et parle, lit-on dans le jugement.
La « collection » de Steven Larouche est parmi les plus importantes de l’histoire judiciaire, relève tristement le magistrat. Le petit échantillon d’images présenté à la Cour « laisse sans mots » et révèle « ce qu’il y a de plus vil et de plus abject ».
L’utilisation de l’hypertrucage peut être difficile à déceler. Dans ce jugement, on apprend qu’avec le temps, les enquêteurs spécialisés reconnaissent certaines images et séquences vidéo pédopornographiques, car elles se retrouvent dans de multiples « collections ». Ici, les policiers ont noté que certaines vidéos leur semblaient familières, à quelques différences près. Une enquête plus poussée a démontré que des visages avaient été substitués sur des vidéos déjà connues. Un logiciel d’hypertrucage a ensuite été trouvé dans l’ordinateur du délinquant.
Selon le Centre canadien de protection de l’enfance, l’hypertrucage s’inscrit dans la continuité des technologies utilisées pour victimiser les enfants : avant, des logiciels d’édition d’images comme Photoshop étaient mis à contribution, mais donnaient toutefois des résultats moins réalistes, explique René Morin.
Quel est l’intérêt de remplacer ainsi les visages par d’autres ? Selon M. Morin, les délinquants le font pour intégrer les visages d’enfants qu’ils connaissent : un petit voisin ou un membre de leur famille. « Une façon de donner libre cours à leurs fantasmes », précise-t-il. Et les vidéos ainsi produites servent aussi à faire de la sextorsion : « tu me paies telle somme d’argent, sinon je mets en ligne cette vidéo avec ton enfant », décrit-il.
Selon le juge Gagnon, il y a aussi un appétit constant pour du « matériel neuf » dans les réseaux de pédophiles — et il s’agit là d’une façon d’en créer.
Une technologie pervertie
M. Morin ne peut quantifier le phénomène d’hypertrucage, mais souligne qu’« on l’observe de plus en plus ». Malheureusement, dit-il, la technologie suscite beaucoup de discussions et d’échanges sur les forums clandestins de pédophiles. « Ce qui est préoccupant, c’est qu’avec Photoshop, ça prenait du temps. Maintenant, c’est beaucoup plus facile. Et ça risque d’augmenter la quantité de matériel en circulation. »
C’est aussi ce que craint la SQ, dont des agents ont enquêté sur Steven Larouche.
Le phénomène n’est pas encore très répandu, indique la sergente Geneviève Bruneau, mais « la SQ est bien consciente qu’il va prendre de l’ampleur au cours des prochaines années ». Nos équipes sont en vigie constante, renchérit-elle. « On doit avoir une prise de conscience collective que si on met des photos sur les médias sociaux, ça devient du matériel facilement accessible pour des gens qui ont cette déviance. »
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) souligne l’importance de sensibiliser les parents aux risques liés à la publication en ligne d’images de leurs enfants. « Nous leur recommandons vivement d’activer les contrôles et d’ajuster les paramètres de confidentialité de leurs comptes de médias sociaux pour restreindre l’auditoire de leurs publications, photos et vidéos. »
Mais malgré tous les efforts qui peuvent être faits, à partir du moment où elles sont en ligne, « il est impossible de garantir la fin de leur diffusion », ajoute la porte-parole du SPVM Anik de Repentigny.
On doit avoir une prise de conscience collective que si on met des photos sur les médias sociaux, ça devient du matériel facilement accessible pour des gens qui ont cette déviance.
Le projet Arachnid, du Centre canadien de protection de l’enfance, participe à l’effort en tendant son filet sur le Web afin de combattre la prolifération d’images d’agressions pédosexuelles, notamment en y déployant des outils de détection d’images pour les supprimer.
Steven Larouche, lui, a plaidé coupable à des accusations de possession, de distribution et de production de pornographie juvénile. Mais il avait le sentiment « d’avoir commis un crime sans victime » puisqu’il n’a pas eu de contacts réels avec les enfants, est-il noté dans le jugement sur sa peine.
Le juge Gagnon a prestement écarté cet argument. Les délinquants ne peuvent espérer la clémence du tribunal en faisant valoir qu’ils n’ont été que de « simples bricoleurs ». Ils feront face aux mêmes sanctions, prévient-il, en imposant à Steven Larouche une peine de huit ans de pénitencier pour ses crimes, parmi les plus graves du Code criminel.
La tâche des corps de police sera désormais plus complexe et difficile, note le juge : « Les autorités policières se retrouvent visiblement dans une nouvelle ère de cybercriminalité. »
Ressources
Pour signaler un cas, recevoir de l’aide ou obtenir plus de renseignements, vous pouvez aller sur le site cyberaide.ca, la Centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet.