Le Conseil de la magistrature refuse que Québec ait droit de regard sur ses dépenses

La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, et le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette
Conseil de la magistrature/Jacques Boissinot La Presse canadienne La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, et le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette

La trêve n’a pas duré. Si le ministre de la Justice et la juge en chef de la Cour du Québec avaient trouvé un terrain d’entente après leurs différends sur le temps que devaient passer les juges à entendre des causes criminelles, le projet de loi qui le concrétise ne fait pas l’affaire de Lucie Rondeau. Il contient des mesures qui ne faisaient pas partie de l’accord, dénonce-t-elle mercredi, et celles-ci compromettent l’indépendance des tribunaux.

Rappelons l’origine du conflit : la juge en chef Rondeau avait réduit le nombre de jours que les juges de sa Cour allaient passer à présider des procès, pour ne pas compromettre la qualité de la justice rendue, disait-elle. Reconnaissant que cela risquait d’augmenter la pile des dossiers en attente, elle a réclamé 41 juges de plus au gouvernement québécois. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a refusé et blâmait la magistrate pour les délais qu’auraient à subir les citoyens en quête de justice. Des actions en justice ont été intentées par le ministre pour faire renverser sa décision.

Finalement, le ministre et la juge en chef ont conclu un accord, après un processus de médiation : 14 juges de plus contre une promesse que les magistrats passeraient un plus grand nombre de jours par année à entendre des affaires criminelles.

Rapidement, le ministre Jolin-Barrette a déposé le projet de loi 26 qui concrétise l’entente. Sauf qu’il y a aussi inclus des dispositions pour encadrer le financement du Conseil de la magistrature du Québec (CMQ) et pour assujettir ses dépenses à un vote de l’Assemblée nationale.

Il a agi de la sorte quelques jours après qu’il eut été révélé que le CMQ a dépassé son budget annuel de plus de 40 % l’an dernier, notamment pour contester de nouvelles dispositions de la Charte de la langue française qui interdisent l’exigence systématique de bilinguisme chez les juges. Mme Rondeau, elle, veut pouvoir exiger la maîtrise de l’anglais lorsqu’il est temps d’embaucher un nouveau juge « pour des raisons d’efficacité des tribunaux ».

Or, ces dispositions sur le financement du CMQ « n’ont jamais fait l’objet de discussions lors du processus de facilitation », déplore la juge en chef — aussi présidente du CMQ — dans un communiqué diffusé mercredi.

Elle demande ainsi au ministre de la Justice d’« accorder toute la réflexion nécessaire » sur ces dispositions « qui posent une limite importante à la capacité financière du Conseil de la magistrature » d’assumer ses fonctions, dont le respect de la déontologie judiciaire et de l’efficacité des tribunaux.

Le Conseil de la magistrature doit pouvoir travailler en toute indépendance du pouvoir exécutif et législatif, rappelle-t-elle. C’est pourquoi son budget était renouvelé sans droit de regard du gouvernement, note-t-elle.

Interpellé à Québec sur cette allégation que le projet de loi 26 allait porter atteinte à l’indépendance judiciaire, le ministre Jolin-Barrette a justifié ainsi sa mesure législative : « On ne peut dépenser sans compter l’argent des Québécois, l’argent public. On doit gérer ça avec efficacité et avec grande rigueur. »

Il est important dans une démocratie que les dépenses soient assujetties à un mécanisme de contrôle, a ajouté le ministre. Il a aussi rappelé que l’argent accordé par crédits parlementaires au CMQ doit être utilisé pour remplir sa mission, soit la formation des juges et le respect de la déontologie judiciaire.

Avec Alexandre Robillard

À voir en vidéo