Alfonso Graceffa livre «sa version de l’histoire» face à la Caisse de dépôt

Alfonso Graceffa a reconnu être celui qui a reçu le paiement de 15 000 $, mais a dit qu’il ignorait les antécédents criminels de Jean-Denis Lamontagne — la personne qui lui a remis cette somme d’argent comptant — et a admis ne pas avoir fait de vérifications.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Alfonso Graceffa a reconnu être celui qui a reçu le paiement de 15 000 $, mais a dit qu’il ignorait les antécédents criminels de Jean-Denis Lamontagne — la personne qui lui a remis cette somme d’argent comptant — et a admis ne pas avoir fait de vérifications.

Le procès intenté par Alfonso Graceffa, ex-dirigeant d’Otéra Capital, une filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), contre l’institution québécoise s’est amorcé cette semaine. Démis de ses fonctions pour des « manquements éthiques graves » en 2019, il soutient avoir été injustement congédié et diffamé par son ex-employeur. Il réclame 6,9 millions de dollars à celui-ci. Exposé de ce procès en quelques points clés.

« Ne pas avoir eu l’opportunité de me défendre, avoir été associé à la mafia… Je trouve hautement déplorable de la part d’une institution d’un tel calibre de m’avoir fait ça », a déclaré M. Graceffa mardi, au deuxième jour des audiences. « Maintenant, c’est ma version de cette histoire. »

Questionné par son avocate, Me Marie-France Tozzi, sur la façon dont son congédiement l’avait affecté, M. Graceffa a fondu en larmes. « Ils m’ont jeté sous l’autobus », a répété l’ex-dirigeant d’Otéra, qui estime avoir été « sacrifié pour sauver [l’]image publique [de la Caisse de dépôt] et apaiser la frénésie médiatique ».

« Ils ont dit que c’était une enquête large. Elle n’était pas large du tout, à mon avis. C’était très ciblé et la cible était sur moi », a-t-il dit.

Après une série de reportages publiés par Le Journal de Montréal à partir de février 2019, la CDPQ avait déclenché une enquête, au coût de cinq millions de dollars, afin de faire la lumière sur des allégations concernant des employés d’Otéra, sa filiale spécialisée dans les prêts commerciaux.

Crime organisé et argent comptant

 

Un sommaire de cinq pages de cette enquête a été rendu public par la Caisse de dépôt en mai 2019, mais pas l’entièreté de celle-ci. Sans nommer personne, la CDPQ notait que « quatre personnes liées à Otéra » qui auraient commis des « manquements » et « qui auraient agi de façon indépendante l’une de l’autre » « n’occupaient plus de fonctions » au sein de ses filiales.

Dans le document, l’institution mentionnait notamment l’implication d’une personne « qui a, ou a eu, des liens directs et/ou indirects avec des acteurs connus du milieu du crime organisé ».

Elle notait aussi qu’une personne aurait rencontré un individu ayant des antécédents criminels dans les bureaux d’Otéra, et aurait reçu 15 000 $ en argent comptant « en lien avec le recouvrement d’une dette liée à une compagnie dans laquelle elle avait un intérêt qu’elle n’avait par ailleurs pas déclaré ».

Parmi les quatre personnes auxquelles la CDPQ faisait référence : Alfonso Graceffa, qui était jusque-là chef de la direction d’Otéra. À ses côtés, une ancienne v.-p. d’Otéra, Martine Gaudreault, et l’économiste Edmondo Marandola. L’identité de la quatrième personne n’est pas connue.

Selon Le Journal de Montréal, Martine Gaudreault serait la personne liée à un membre connu du crime organisé, soit son conjoint, « un prêteur privé » qui aurait entretenu des liens avec la mafia montréalaise.

Mardi, Alfonso Graceffa a reconnu être celui qui a reçu le paiement de 15 000 $, mais a dit qu’il ignorait les antécédents criminels de Jean-Denis Lamontagne — la personne qui lui a remis cette somme d’argent comptant — et a admis ne pas avoir fait de vérifications.

Il estime par ailleurs qu’en ne nommant pas les individus visés par les allégations dans son sommaire, la Caisse de dépôt a laissé croire au public qu’il avait été congédié « pour des raisons précises, comme faire affaire avec le crime organisé, causes qui, en fait, ne lui sont pas attribuées ».

Affrontement judiciaire

 

En juin 2019, M. Graceffa publie un communiqué dans lequel il conteste son congédiement, qu’il considère comme « injustifié » et qui aurait causé des « dommages considérables » à sa réputation. La CDPQ défend aussitôt sa décision en invoquant des « manquements éthiques graves identifiés dans le rapport d’enquête » et prévient qu’elle et ses filiales « ne verseront aucun sou d’indemnité » à M. Graceffa.

L’institution annonce aussi être prête « à faire la démonstration détaillée de [sa] preuve et des faits ayant mené au congédiement pour cause devant le tribunal » si l’ex-dirigeant d’Otéra Capital décide de lancer des poursuites.

Le document de procédure de la partie défenderesse recense d’ailleurs les manquements reprochés à M. Graceffa. Parmi les motifs invoqués pour le démettre de ses fonctions, la CDPQ cite notamment la perception d’un paiement en argent comptant d’un individu au passé criminel, mais aussi le « contrôle et [le] financement non déclarés d’une entreprise » — en l’occurrence Construction Sainte-Gabrielle —, l’« approbation et [la] recommandation de prêts en contravention des codes d’éthique », la présence d’un « conflit d’intérêts en lien avec la négociation d’un financement hypothécaire personnel » ainsi que l’« omission de déclarer des offres de pots-de-vin ».

Le procès opposant Alfonso Graceffa à son ex-employeur a débuté lundi au palais de justice de Montréal et devrait s’étaler sur 12 jours. Parmi les témoins qui seront appelés à la barre : Michael Sabia, qui était le p.-d.g. de la CDPQ lorsque cette affaire a éclaté.

Salvatore Graceffa, le frère de M. Graceffa, ainsi que Paul Chin, l’actuel premier v.-p. et chef des investissements chez Otéra, et Daniel Fournier, ex-président d’Ivanhoé Cambridge, sont aussi attendus à la barre des témoins.

Mercredi, après deux jours d’audience durant lesquels M. Graceffa a pu exposer sa version des faits, ce dernier devra faire face au contre-interrogatoire de l’avocat de la Caisse de dépôt, Mason Poplaw.

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