Un promoteur immobilier condamné à rembourser 1 million à l’État

Le monastère des Moniales de Berthierville apparaît à plusieurs experts comme un témoin éloquent d’un rare ensemble religieux situé en milieu non urbain.
Photo: MRC de D’Autray Le monastère des Moniales de Berthierville apparaît à plusieurs experts comme un témoin éloquent d’un rare ensemble religieux situé en milieu non urbain.

Le monastère des Moniales de Berthierville ne peut être démoli pour faire place à un projet de développement immobilier « haut de gamme », malgré les prétentions contraires d’un promoteur immobilier, M. André St-Martin. Il ne peut pas non plus faire l’objet d’une « démolition par abandon » du lieu aux rigueurs du temps. Le propriétaire de ce bâtiment patrimonial, indique le tribunal, a en outre le devoir de prendre les mesures « pour assurer sa préservation » et doit, conséquemment, rembourser l’État qui a dû intervenir à sa place pour sauver ce monastère d’intérêt public. C’est en substance ce qu’indique un jugement important rendu le 26 avril devant la Cour supérieure à Joliette.

Ce jugement affirme que, contrairement aux prétentions du promoteur immobilier, l’État n’a pas à lui racheter ce bien parce qu’il a été classé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel (LPC). Le promoteur doit en fait rembourser l’État de plus de 903 440 $, plus les intérêts. C’est le coût déboursé pour sécuriser le bâtiment contre son gré. S’ajoutent à cela ainsi des frais de chauffage et d’entretien pour une autre somme de 29 615 $.

Le juge souligne par ailleurs que ce cas « est l’illustration malheureuse qu’un manque de concertation en matière de protection du patrimoine culturel peut mener à des conséquences fâcheuses ». Dans ce dossier, la MRC de D’Autray et le ministère de la Culture et des Communications (MCC) n’étaient visiblement pas sur la même longueur d’onde.

29 615$
Ces sont les frais de chauffage et d’entretien du promoteur qui s’ajoutent à la somme qu'il doit rembourser à l’État.

Ce jugement est important parce qu’il permet de clarifier la portée de la LPC devant un cas d’importance. Il assure que le fait de « classer un site patrimonial ne requiert pas que sa signification ou que son affectation soit figées à une époque donnée ». Il confirme aussi que la LPC a préséance sur les décisions municipales.

Le propriétaire soutenait qu’il avait déjà obtenu un permis de démolition de la municipalité de Berthierville. Selon lui, il s’agissait d’un droit acquis. Il refusait, en outre, de veiller à l’entretien du bâtiment, malgré des avis du MCC. L’État s’était retrouvé forcé de s’en occuper.

Imprudence

 

Le juge David E. Roberge indique que le propriétaire de ce bien patrimonial s’est montré imprudent de penser que démolir un monastère était une « chose banale ». Il note aussi qu’il a reçu des avis légaux qui lui demandaient d’assurer l’étanchéité du bâtiment et de protéger ses ouvertures. Aucun travail n’avait été fait par le propriétaire pour sécuriser les lieux.

L’immeuble a échappé à un incendie le 23 mai 2022. Un officier de la Sûreté du Québec avait expliqué au Devoir qu’il s’agissait d’un acte criminel. Les services policiers avaient aussi signalé plusieurs autres incidents en lien avec ce bâtiment laissé à lui-même.

Contre la démolition par abandon

 

Devant le tribunal, la compagnie mise en cause est jugée responsable des frais de conservation encourus pour la préservation du lieu.

En 2022, rappelait Le Devoir, l’État québécois a dû intervenir d’urgence à plusieurs reprises pour freiner la dégradation accélérée du monastère des Moniales. Le bâtiment, indiquent les rapports officiels cités dans le jugement, était laissé à lui-même par son propriétaire depuis son acquisition. Cela a fait dire à une experte du MCC qu’il s’agissait d’une tentative de « démolition par abandon ».

La Cour supérieure donne raison sur toute la ligne au MCC dans la volonté manifestée par celui-ci de voir à protéger l’ancien monastère.

Aux yeux du tribunal, la protection du lieu ne remet pas en cause sa requalification pour d’autres usages, comme le soutenait le propriétaire pour justifier son inaction. Le MCC a d’ailleurs fait savoir au propriétaire qu’il pourrait soutenir financièrement un projet de reconversion des lieux, s’il respecte les caractéristiques à préserver. Le propriétaire pourrait obtenir, sous forme de subventions, jusqu’à 50 % de la valeur des restaurations entreprises. Or, le tribunal observe que le propriétaire n’a fait aucune demande en ce sens et qu’il s’en est tenu à sa volonté de démolir, selon ses plans d’origine.

Un bâtiment important

 

Le coeur du bâtiment qui fait litige date de la crise économique de l’entre-deux-guerres. Il est érigé selon les plans de l’architecte Joseph-Albert LaRue, à compter de 1933. Professeur d’architecture, LaRue est l’un des fondateurs de l’École des beaux-arts de Montréal. Les valeurs historiques, architecturales, paysagères, ainsi que les qualités d’authenticité de l’ensemble sont notées par le tribunal. Dans l’ensemble, le monastère apparaît à plusieurs experts comme un témoin éloquent d’un rare ensemble religieux situé en milieu non urbain.

En 2019, la réalisatrice Louise Sigouin a fait un documentaire consacré aux Moniales de Berthierville, la seule communauté francophone de moniales dominicaines en Amérique du Nord. Dans ce film intitulé Amoureuses, le bâtiment apparaissait encore dans toute sa splendeur. Quatre ans plus tard, sur les mêmes lieux, une éternité semble s’être écoulée.

50%
C’est le pourcentage maximal de la valeur des restaurations entreprises que le propriétaire pourrait obtenir sous forme de subventions.

La compagnie à numéro, administrée par André St-Martin et Jean-Claude Paillé, soutenait devant la cour son droit de démolir l’ancien monastère des Soeurs moniales dominicaines. Selon le jugement de la cour, André St-Martin avait entrepris dès 2017 des démarches pour faire changer le plan cadastral de la municipalité afin qu’il lui soit permis de construire des appartements. Faute d’un autre acheteur, les religieuses cèdent finalement le 29 mars 2019 l’ancien monastère pour la somme de 250 000 $. Les travaux de démolition devaient alors débuter sans tarder.

Pourtant, un rapport d’experts avait, au préalable, recommandé à la municipalité de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection du bâtiment. Le lieu est par ailleurs répertorié pour son intérêt patrimonial « exceptionnel » par la MRC de D’Autray, note le juge David E. Roberge.

La municipalité avait néanmoins accordé un permis de démolition à l’acquéreur. Elle n’avait pas prévenu pour autant le MCC de son intention d’autoriser la destruction d’un bâtiment religieux d’importance patrimoniale sur son territoire. L’affaire avait soulevé l’attention médiatique, comme en témoignent plusieurs articles du Devoir.

Des contraintes nécessaires

 

Un avis d’intention de classement avait mis un terme aux velléités de destruction. La ministre alors en fonction, Nathalie Roy, avait signé deux avis de classement, le 19 décembre 2019, afin de protéger les lieux.

La compagnie propriétaire des lieux s’est lancée immédiatement dans une contestation de la démarche du MCC plutôt que d’adapter ses projets de développement en lui intégrant un bâtiment existant.

La cour rappelle que « les objectifs louables de la Loi sur le patrimoine culturel peuvent entraîner des contraintes »

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