La lutte en justice d’un syndicat de copropriété contre des locations à court terme illégales

Une copropriétaire a été condamnée cette semaine à remettre plus de 83 000 dollars au syndicat de copropriété d’un immeuble de Montréal après y avoir loué illégalement pendant des années un logement à court terme sur des plateformes de type Airbnb.
En 2014, Lu Zhao a acquis un appartement situé dans un bâtiment en copropriété de 187 unités réparties sur 19 étages au coeur du quartier Griffintown. Elle n’a toutefois pas acquis ce logement pour s’y loger, mais plutôt pour louer celui-ci à court terme à des touristes de passage.
Or, en août 2016, les copropriétaires du bâtiment adoptent en assemblée une modification au règlement de l’immeuble pour y interdire de louer un logement pour moins de 12 mois consécutifs. Les contrevenants s’exposent alors à une amende de 1000 dollars pour une première violation, une somme qui grimpe ensuite à 3000 dollars pour les infractions subséquentes. Le règlement est de nouveau modifié en avril 2017 pour préciser noir sur blanc que « la promotion d’un logement sur des sites dédiés à la location à court terme, tel que [sur] Airbnb, est interdite ».
Mme Zhao ne se préoccupe toutefois pas de ces changements aux règlements internes du bâtiment et continue de louer son logement sur Airbnb, en affirmant que c’est en fait sa locataire qui sous-loue ce logement sur cette plateforme. Or, cette locataire est « fictive » et fait simplement partie du « stratagème » qu’a employé la copropriétaire pour louer son logement à court terme pendant des années, a tranché une juge de la Cour supérieure du Québec le 27 mars.
« La preuve démontre de façon non équivoque que cette personne n’existe pas et qu’elle est plutôt le pseudonyme de madame Zhao qui a créé un profil en ligne en utilisant ce nom », mentionne le jugement. Le juge Azimuddin Hussain relève d’ailleurs que le moment de la création du compte de cette personne fictive, en 2017, coïncide avec celui où la réglementation de l’immeuble a été modifiée pour préciser que les locations à court terme sur les plateformes comme Airbnb sont interdites.
« C’est très payant pour eux, donc ils ont beaucoup d’imagination pour arriver à contourner tous les mécanismes qui sont mis en place pour essayer de forcer la loi à être respectée », relève Élise Beauchesne, la présidente-directrice générale de SolutionCondo, l’entreprise responsable de la gestion du syndicat de copropriété de cet immeuble.
La preuve recueillie par le syndicat montre d’ailleurs que des touristes rentraient dans le logement de Lu Zhao en passant par l’immeuble voisin, usant d’un « système élaboré, mais sournois » auquel avait recours la copropriétaire dans l’espoir que « personne ne soit au courant de ses activités ».
17 infractions
Le syndicat de copropriété a tout de même réussi à documenter la présence de touristes dans ce logement. Une administratrice surveillait ainsi les annonces publiées par le pseudonyme de Lu Zhao et allait cogner à la porte du condominium lorsque des touristes s’y rendaient afin de demander à photographier leur pièce d’identité afin de vérifier que leur véritable adresse n’était pas celle de l’appartement de Mme Zhao. Le gardien de sécurité de l’immeuble s’assurait aussi d’alerter le syndicat quand il voyait des touristes avec leurs valises entrer dans le bâtiment.
« Il faut vraiment prendre les touristes sur le fait quand ils sont dans l’immeuble. C’est là tout le défi. Dans notre cas, c’était plus facile parce qu’on avait un gardien de sécurité et une administratrice qui était déterminée à documenter tout ça, mais les petits immeubles n’ont pas toujours ces ressources à leur disposition », constate Mme Beauchesne.
En 2019, le syndicat est même allé jusqu’à mandater un huissier qui a réservé le logement de Mme Zhao en prétendant être un touriste afin d’accumuler une preuve suffisante contre la copropriétaire.
Cette dernière a reçu, entre 2016 et 2019, 17 avis d’infraction aux règlements du bâtiment totalisant 49 000 dollars. Chaque fois, elle a ignoré ces infractions, ce qui a obligé le syndicat de copropriété à se rendre devant les tribunaux en 2019 pour obtenir les sommes réclamées et la forcer à cesser de louer son logement à court terme.
« La dame ne voulait vraiment pas arrêter », se rappelle Élise Beauchesne. La copropriétaire a toutefois perdu son combat devant l’ampleur de la preuve présentée contre elle.
Ainsi, la Cour supérieure du Québec a acquiescé lundi aux demandes du syndicat de copropriété et ordonné à Lu Zhao de cesser de louer son logement pour des périodes de moins de 12 mois consécutifs. La copropriétaire doit par ailleurs remettre 49 000 dollars au syndicat pour les infractions impayées, de même qu’une somme de 34 387 dollars en frais judiciaires, pour un total de 83 387 dollars.
Pas un cas unique
Deux avocats spécialisés en droit de la copropriété confirment au Devoir qu’il n’est pas rare que des syndicats de copropriété doivent se tourner devant les tribunaux pour tenter de mettre fin aux locations à court terme illégales dans leur immeuble.
« Il faut que les clauses pénales [incluses dans les règlements adoptés par les syndicats de copropriété] soient faites de façon que ce soit vraiment dissuasif de faire de la location à court terme », estime Yves Joli-Coeur, qui est également président du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec. Ainsi, on risque de décourager davantage de copropriétaires à s’adonner à cette pratique, note l’avocat. « Généralement, ça a un effet dissuasif. »
« Si tu as une amende qui n’est pas assez dissuasive, par exemple de 100 dollars, il y a des propriétaires qui vont continuer » à louer leur logement à court terme, malgré les infractions remises par le syndicat de copropriété, opine l’avocat Ludovic Le Draoullec.
Élise Beauchesne estime pour sa part que ce sont avant tout les villes et le gouvernement du Québec qui disposent des moyens appropriés pour s’attaquer aux locations à court terme illégales, notamment en déployant plus d’inspecteurs sur le terrain. « Il faut que quelqu’un fasse les vérifications appropriées et que les pénalités soient salées. Sinon, les gens vont continuer. »