La violence économique, facette méconnue de la violence conjugale après la rupture

C’est à la femme de démontrer que l’ex-conjoint a des revenus dissimulés ou encore qu’il travaille même s’il dit vivre de l’aide sociale, ce qui en décourage plusieurs.
Photo: Adil Boukind archives Le Devoir C’est à la femme de démontrer que l’ex-conjoint a des revenus dissimulés ou encore qu’il travaille même s’il dit vivre de l’aide sociale, ce qui en décourage plusieurs.

Une rupture dans un contexte de violence conjugale ne signifie pas nécessairement la fin de la violence. Celle-ci peut se transformer et se décliner sous de nouvelles formes, notamment en violence économique. Dans certains cas, d’ex-conjoints violents tentent de conserver une emprise sur la mère de leurs enfants en les privant de la pension alimentaire à laquelle elles ont droit pour leurs enfants. Une facette méconnue de la violence conjugale, qui fait partie de la notion de contrôle coercitif que les organismes d’aide aux femmes souhaitent faire reconnaître dans le Code criminel.

« [Les ex-conjoints violents] oublient que la pension alimentaire, c’est pour les enfants, ils se disent : elle veut profiter de mon argent. Mais c’est là où leur perception devient biaisée », analyse Arianne Hopkins, coordonnatrice de la maison Nouvelle-Étape, un hébergement de 2e étape pour les femmes et les enfants vivant de la violence post-séparation. « [La pension alimentaire] n’a pas de lien avec la femme, c’est pour le bien-être des enfants. »

Selon plusieurs intervenantes interrogées par Le Devoir, les cas d’ex-conjoints violents qui tentent de se soustraire à leurs obligations financières à l’égard de leurs enfants sont loin d’être anecdotiques. « Les stratégies sont nombreuses : lâcher son travail, aller sur l’aide sociale, ne pas avoir de jobs constantes, repousser les procédures judiciaires », énumère Arianne Hopkins. D’autres intervenantes citent des cas où des ex-conjoints ont quitté la province ou le pays, ont commencé à travailler au noir ou ont multiplié les procédures judiciaires pour étrangler financièrement leur ex-conjointe. Le Devoir a documenté certains cas.

C'est une façon de dire “je garde le contrôle et je vais te punir”. Ça peut être une façon de se venger, de se défouler, mais ça va nuire aux enfants avant tout

 

Selon Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, ce type de comportement est apparu au Québec après la mise en place de la perception automatique des pensions alimentaires en 1995. À partir de ce moment, une déduction à la source, donc directement sur le salaire de l’ex-conjoint, pouvait être effectuée, ce qui a permis de diminuer les cas de mauvais payeurs, mais qui a fait surgir une multitude de stratagèmes.

En contexte de violence conjugale, nombreuses sont les femmes qui choisissent de lâcher prise face à une telle situation pour protéger leur santé physique et mentale. « Quitte à continuer à être harcelées, les femmes vont laisser tomber, rapporte Manon Monastesse. C’est déjà assez pénible. C’est rare qu’elles vont se battre pour ça. »

D’autant plus que c’est à la femme de démontrer que son ex-conjoint a des revenus dissimulés ou encore qu’il travaille même s’il dit vivre de l’aide sociale. « Ça repose sur leurs épaules, déplore Sabrina Lemeltier, présidente de l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape. Ça les décourage. Elles savent que c’est injuste, mais elles ont tendance à ne pas vouloir se battre pour ça, même si c’est leur droit. »

Maintenir l’emprise

Selon elle, les hommes qui agissent de la sorte cherchent à maintenir une emprise sur leur ex-conjointe. « C’est une façon de dire “je garde le contrôle et je vais te punir”. Ça peut être une façon de se venger, de se défouler, mais ça va nuire aux enfants avant tout », mentionne Sabrina Lemeltier.

Une lecture que partage Arianne Hopkins. « [Ces ex-conjoints] sont en relation de pouvoir avec la conjointe pendant qu’ils sont en couple, note-t-elle. Mais quand c’est fini, ils ont l’impression de perdre le pouvoir sur la femme et qu’elle va en profiter. » En plus de maintenir une pression financière, des propos insultants et dégradants fusent, comme « crois-moi que tu t’achèteras pas une bouteille de vin avec mon argent » ou « tu iras pas te faire faire les ongles avec mon argent ». Certains vont aussi lancer que, puisqu’ils versent une pension alimentaire pour leurs enfants à leur ex-conjointe, celle-ci a des comptes à leur rendre.

Contrôle coercitif

Comme la violence psychologique, la violence économique ne se voit pas. Pour que ces violences qui ne laissent pas de traces soient réellement prises en compte par la société et les tribunaux, les organismes venant en aide aux femmes militent depuis plusieurs années pour que la notion de contrôle coercitif — qui englobe l’ensemble des comportements déployés dans le but de créer une relation de contrôle, d’emprise et de domination sur l’autre — soit reconnue dans le Code criminel. S’il est adopté, le projet de loi C-233, déposé au Parlement canadien l’an dernier, modifiera le Code criminel en ce sens.

« Il faut qu’on ait un regard complet sur la violence conjugale et qu’il y ait des lois qui reconnaissent que c’est de la violence conjugale même s’il n’y a pas de coup de poing », résume Sabrina Lemeltier. « Tant que c’est pas fait, c’est une traversée du désert [pour les femmes qui essaient de faire reconnaître ce type de violence]. »

Besoin d’aide ? Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1-800-363-9010. Si vous êtes auteur de violence conjugale, vous pouvez contacter l’organisme À coeur d’homme au 1-877-660-7799.



À voir en vidéo