Le Canadien Pacifique n’est pas responsable de la tragédie de Lac-Mégantic, tranche un juge

Le déraillement d’un train à Lac-Mégantic le 6 juillet 2013 avait fait 47 morts et détruit le centre-ville de la petite municipalité de l’Estrie.
Jacques Nadeau Archives Le Devoir Le déraillement d’un train à Lac-Mégantic le 6 juillet 2013 avait fait 47 morts et détruit le centre-ville de la petite municipalité de l’Estrie.

Le Canadien Pacifique (CP) n’est pas responsable de la tragédie de Lac-Mégantic, tranche le juge du procès civil en rejetant trois poursuites intentées contre l’entreprise ferroviaire, dont une action collective.

Le déraillement et l’explosion d’un train transportant du pétrole brut à Lac-Mégantic le 6 juillet 2013 avaient fait 47 morts et détruit le centre-ville de cette petite municipalité de l’Estrie.

Trois citoyens avaient notamment entrepris une action collective pour tous les dommages subis par ses habitants et ses entreprises.

Dans son jugement de 170 pages rendu mercredi, le juge Martin Bureau, de la Cour supérieure, explique que les agissements reprochés au CP, « qu’ils soient fautifs ou non, ne sont pas la cause directe, immédiate et logique des préjudices subis par l’ensemble des victimes ».

Cette responsabilité repose plutôt sur le dernier conducteur du convoi, Thomas Harding, et sur l’entreprise qui l’employait, la Montreal Maine & Atlantic Canada Company (MMA), désormais en faillite.

Le jugement rendu mercredi scelle ainsi le sort de trois demandes en justice qui avaient été regroupées pour le procès : outre l’action collective, il tranche aussi sur une poursuite en dommages intentée par le gouvernement québécois (pour plus de 230 millions de dollars), et sur une troisième, menée par des compagnies d’assurances qui réclamaient à CP et à la MMA les sommes versées à leurs assurés, soit 14 millions de dollars.

Le magistrat note que bien qu’il apparaisse évident à la lecture de son jugement que de très nombreux intervenants impliqués dans le transport du pétrole brut du Dakota du Nord au Nouveau-Brunswick « ont une certaine responsabilité dans ce sinistre », les demandeurs ont cessé de les poursuivre, car ils ont accepté de verser des sommes dans un fonds d’indemnisation de plus de 430 millions de dollars, destiné à dédommager les victimes. Le CP n’y avait pas participé.

Quant à Thomas Harding, les demandeurs ont abandonné leur poursuite contre lui, car la preuve a révélé qu’il n’avait d’aucune façon la capacité financière d’indemniser les victimes, rappelle le juge dans sa décision.

Bref, il ne restait au magistrat qu’à déterminer si le CP et la MMA étaient responsables en tout ou en partie des conséquences du déraillement et de l’explosion du convoi de pétrole. Vu la faillite de la MMA, les efforts des demandeurs ont surtout été dirigés contre le CP.

Diverses fautes ont été reprochées à cette entreprise ferroviaire, mais elles ont toutes été écartées par le juge.

Le CP a notamment été blâmé pour avoir choisi de transporter du pétrole sur un tronçon de chemin de fer appartenant à la MMA, dont les pratiques n’étaient pas sécuritaires, soutiennent les demandeurs. De plus, il ne s’est pas assuré de la classification du pétrole transvidé dans les wagons-citernes DOT-111 pour le trajet. Or, il s’agissait d’un pétrole plus volatil et explosif que prévu, ce que plusieurs ignoraient, et qui était malgré cela destiné à traverser le coeur de la petite ville de l’Estrie.

Le juge estime que le CP est en droit de se fier à la classification effectuée par l’expéditeur et n’a pas à faire des démarches pour vérifier si elle est exacte.

De plus, il n’a pas l’obligation légale de s’assurer que le pétrole sera transporté par une entreprise sur des chemins de fer sécuritaires, avec du personnel bien formé et des équipements en bonne condition. On se rappelle que les pratiques de la MMA avaient été dénoncées, car ses chemins de fer étaient détériorés par endroits et que la locomotive stationnée la veille du drame en amont de Lac-Mégantic avait connu des problèmes mécaniques.

La MMA avait toutes les autorisations nécessaires pour être en activité, écrit le juge avant de déclarer le CP non responsable.

Il estime par contre que la MMA a failli à ses obligations, notamment en n’élaborant pas et en ne mettant pas en oeuvre des politiques et des procédures liées aux cas de déraillement. Quant au conducteur Harding, il n’a pas appliqué un nombre suffisant de freins quand il a laissé le train seul pour la nuit en haut d’une côte. Il n’a pas fait les tests requis sur lesdits freins et n’est pas retourné vérifier l’état du train, peu avant la catastrophe, lorsqu’il a été avisé que les pompiers y avaient éteint un incendie et le moteur de la locomotive — ce qui avait désactivé les freins. Il n’a pas respecté les règles, écrit le juge.

Il tient ainsi la MMA partiellement responsable des dommages subis, bien qu’elle soit en faillite et ne se soit même pas défendue dans les trois actions.

Les demandeurs ont 30 jours pour porter le jugement en appel.

Le chef de train Thomas Harding, le contrôleur ferroviaire Richard Labrie et le responsable des opérations pour la MMA au Québec, Jean Demaître, avaient été accusés de négligence criminelle causant la mort de 47 personnes. Ils avaient été acquittés en janvier 2018 au terme d’un long procès. La MMA avait bénéficié d’un arrêt des procédures.

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