Le «droit inhérent» à l’autonomie autochtone est accepté par d’autres provinces

Le Québec soutient être à l’avant-garde au pays en ce qui concerne le droit des Premiers Peuples de gérer leurs propres services à l’enfance.
Photo: Catherine Hours Agence France-Presse Le Québec soutient être à l’avant-garde au pays en ce qui concerne le droit des Premiers Peuples de gérer leurs propres services à l’enfance.

Seule la province de l’Alberta appuie le Québec dans sa contestation d’un « droit inhérent » à l’autonomie gouvernementale autochtone, a entendu la Cour suprême jeudi.

Le procureur du Québec n’a reçu qu’un maigre soutien du reste de la fédération lors de la deuxième et dernière journée d’audiences de sa contestation de la loi fédérale sur les services autochtones à l’enfance. La Colombie-Britannique, le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest se sont rangés dans le camp d’Ottawa devant le plus haut tribunal du pays.

Seule l’Alberta digère aussi mal que le Québec l’affirmation d’un « droit inhérent à l’autonomie gouvernementale », inclus dans le texte de loi adopté par la Chambre des communes en 2019 sous le nom de C-92. Les autres provinces et territoires ne se sont pas invités à cette ultime manche du débat juridique.

« Pour moi, ça veut dire que l’Alberta et le Québec ont du travail à faire en ce qui concerne leurs relations avec les Premières Nations », laisse tomber au bout du fil Richard Gray, gestionnaire des services sociaux auprès de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL).

Le Québec a soutenu mercredi devant la Cour suprême du Canada que ce serait de modifier « l’architecture constitutionnelle » que de conférer le droit aux Premiers Peuples de se doter de lois sur les services à l’enfance qui ont préséance sur les lois provinciales. Son procureur a aussi qualifié la démarche d’Ottawa de « fédéralisme de supervision » dans ses compétences.

Le gouvernement fédéral soutient au contraire que la Constitution lui permet de conférer unilatéralement une telle autonomie gouvernementale aux peuples autochtones. Il fait valoir que l’article 35 de la Constitution reconnaît l’existence de leurs droits ancestraux.

Revendication autochtone

Une trentaine de nations ou regroupements autochtones ont aussi présenté leur avis sur la question aux neuf juges de la Cour suprême, jeudi. La reconnaissance d’un « droit inhérent » à leur autodétermination faisait consensus, et en particulier leur droit de créer leur propre version de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

La protection des enfants « est au coeur de la dignité humaine » et une responsabilité que les communautés autochtones ont toujours exercée, a par exemple souligné Marie-Claude André-Grégoire, l’avocate représentant les Innus d’Uashat mak Mani-Utenam.

Le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan, qui a été le premier au Québec à devenir autonome dans ses services de protection de l’enfance en vertu de la nouvelle loi fédérale, en 2021, a aussi relaté son expérience devant les juges.

Son avocat, Frédéric Boily, a précisé qu’en vertu de la nouvelle Loi de la protection sociale atikamekw d’Opitciwan, la DPJ québécoise a transféré certains dossiers d’enfants vivant sur la communauté. « Mais le même raisonnement n’a pas été appliqué pour les enfants hors communauté », déplore-t-il.

En vertu d’un jugement de la Cour d’appel du Québec, les communautés doivent négocier au moins un an avec la province avant de pouvoir se doter de leur propre DPJ. « Des efforts raisonnables avaient été déployés pour établir un accord de coordination avec le Québec. Malheureusement, il n’y a pas eu de résultat », a précisé Me Boily.

Jugement très attendu

Le Québec soutient être à l’avant-garde au pays en ce qui concerne le droit aux Premiers Peuples de gérer leurs propres services à l’enfance. En vertu de l’article 37.5 de la Loi québécoise sur la protection de la jeunesse (LPJ), une nation peut conclure une entente avec le gouvernement provincial pour établir son propre système.

Seuls les Atikamekw de Manawan et de Wemotaci ont conclu ce genre d’entente avec Québec. Or, comme les Atikamekw d’Opitciwan, au moins 16 communautés songent plutôt à passer par la voie fédérale de C-92 pour se doter de leur propre DPJ.

Si la Cour suprême devait se ranger derrière les arguments du Québec, cela reviendrait à retourner à la case départ et à redonner à Québec le pouvoir de faire traîner les négociations, craignent des intervenants autochtones. « Ça veut dire une continuité, encore, avec des lois coloniales », explique Marjolaine Siouï, directrice générale de la CSSSPNQL.

« Au lieu d’investir des sommes faramineuses en frais juridiques, le gouvernement du Québec aurait pu aider les familles et les enfants. »

Les juges de la Cour suprême, dont la nouvelle juge autochtone Michelle O’Bonsawin, n’ont pas rendu leur décision directement jeudi, mais ont plutôt pris la cause en délibéré.

Prenant la parole jeudi soir devant l’Assemblée des chefs des Premières Nations, jeudi soir, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a promis d’être « toujours là […] quand vient le temps de se battre pour des droits issus des traités, des droits issus de la section 35 [de la Constitution]. »

Il répondait à une cheffe qui le pressait d’en découdre avec la loi controversée sur la « souveraineté » de l’Alberta, adoptée plus tôt jeudi. Le premier ministre avait promis en 2017, lors d’un discours prononcé devant l’Assemblée générale des Nations unies, une « transition vers une véritable autonomie » des nations autochtones.

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