Des opposants à la loi 21 s’attaquent au bouclier de la clause dérogatoire

Le débat constitutionnel en Cour d’appel sur la Loi sur la laïcité de l’État s’est ouvert lundi avec un morceau de taille : les opposants à la mesure législative s’en sont pris à la disposition de dérogation, utilisée par le gouvernement caquiste pour mettre sa loi à l’abri de contestations fondées sur la discrimination, notamment envers les minorités religieuses.

La plus haute cour québécoise a commencé à entendre les arguments de tous ceux — ils sont nombreux — qui veulent que soit infirmée la décision du juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, qui a déclaré la loi valide en bonne partie.

Celle-ci — connue avant son adoption sous le vocable de « projet de loi 21 » — interdit le port de signes religieux à certains employés relevant du gouvernement lorsqu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions, comme les enseignants du primaire et du secondaire au public, les policiers, les juges et les procureurs de la Couronne.

Le juge Blanchard avait rejeté la majorité des contestations de la loi 21 et maintenu l’interdiction de porter le hidjab, la kippa ou le turban, sauf pour le personnel et les enseignants des commissions scolaires anglophones. Il a aussi établi que les élus de l’Assemblée nationale n’avaient pas à exercer leurs fonctions à visage découvert.

Au cours des prochains jours, la Cour va entendre les plaidoiries par thèmes : le premier en liste est la disposition de dérogation, communément appelée « clause dérogatoire », une disposition prévue à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés.

L’utilisation « aussi large » de cette clause par le gouvernement a été dénoncée par le juge Blanchard dans sa décision d’avril 2021, faisant ainsi écho à une critique maintes fois lancée à François Legault.

« Interrogé par le Tribunal quant aux raisons qui justifieraient un exercice dérogatoire aussi large, le représentant du procureur général du Québec affirme qu’il fallait se prémunir contre l’inventivité des personnes qui voudraient contester la loi 21. Voilà une bien mince et troublante explication », poursuivait le magistrat.

Sans « coût politique » ?

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a été la première à se rendre au lutrin lundi matin, qualifiant le débat sur le point de se dérouler en Cour d’appel de « moment historique ».

Une démocratie sans protection des minorités n’en est pas une, a lancé d’emblée Me Frédéric Bérard, l’un des avocats de la FAE, un syndicat d’enseignants qui conteste la Loi.

Il a demandé s’il y a encore aujourd’hui un « coût politique » à l’usage par un gouvernement de la disposition de dérogation. Me Bérard a ainsi noté que le gouvernement de François Legault, loin d’avoir été pénalisé pour son geste, a été récompensé puisqu’il a ajouté de nombreux députés caquistes sur les bancs de l’Assemblée nationale aux dernières élections.

La FAE n’adopte pas cette vision selon laquelle un gouvernement majoritaire « peut tout faire » en matière de violation des droits fondamentaux.

Me Bérard a énoncé son désaccord avec le juge Blanchard, qui considère que la pénalité pour le recours à la disposition de dérogation se trouve « dans l’urne ». « C’est un raisonnement circulaire, a-t-il fait valoir. Si le gouvernement a adopté la loi 21 afin de plaire à la majorité, il serait paradoxal de s’en remettre à cette majorité afin de sanctionner un procédé qui, dans les faits, vise à la séduire ou à la satisfaire. »

Quant à l’avocate de la Coalition inclusion Québec, Me Alexandra Belley-McKinnon, elle a remis en question l’utilisation même de la disposition de dérogation : celle-ci ne peut être invoquée que si la loi poursuit un objectif légitime, a-t-elle soutenu. Et ce n’est pas le cas ici, a-t-elle souligné : le seul but de la loi 21 est d’enlever des droits à des groupes, en bafouant la Charte.

Le gouvernement du Québec, qui porte lui aussi le jugement en appel, a fait valoir qu’il était possible d’exempter une loi entière de l’emprise de la Charte : les limites soulevées par les contestataires n’existent pas.

Selon le Mouvement laïque québécois, qui souhaite que la loi 21 soit maintenue dans son intégralité, un usage large de l’article 33, « sur le plan légal, c’est permis », a indiqué Me Guillaume Rousseau. La seule limite est que l’utilisation de la disposition de dérogation doit être renouvelée tous les cinq ans, ce qui n’est pas anodin, a-t-il ajouté.

La Cour d’appel s’est réservé deux semaines pour entendre les 10 appels du jugement, mais a indiqué lundi matin que cinq jours de plaidoiries devraient être suffisants.

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