Vers la fin des contrôles routiers aléatoires au Québec

Un juge québécois vient de signer l’arrêt de mort des interceptions routières sans motif. Il a rendu mardi une décision majeure ordonnant la fin de cette pratique policière qu’il juge discriminatoire, car trop souvent accompagnée de profilage racial. Le concept est bien documenté et n’est « pas qu’une vue de l’esprit », insiste-t-il.
C’est d’ailleurs cette notion de profilage racial qui donne la mesure à tout le jugement : le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure, l’a décrit comme une « forme sournoise de racisme » et une « réalité qui pèse de tout son poids sur les collectivités noires ».
Dans sa décision de 170 pages, le magistrat tranche que les « interceptions routières sans motif réel » sont contraires à la Charte canadienne des droits et libertés.
Il invalide ainsi la règle de droit permettant ces interceptions routières aléatoires, une règle qui trouve son assise dans l’arrêt Ladouceur de la Cour suprême du Canada et dans des dispositions du Code criminel et du Code de sécurité routière. Pour ne pas imposer un changement trop rapide, le juge indique que sa décision ne prendra effet que dans six mois, afin de laisser du temps aux autorités d’informer les policiers des changements et de mettre en place des mesures de contrôle de remplacement.
Il s’agit ainsi d’une victoire pour Joseph-Christopher Luamba, le jeune homme noir âgé d’une vingtaine d’années qui a mené à bout de bras cette contestation judiciaire. Il dénonçait le fait d’avoir été intercepté trois fois en à peine un an, entre 2019 et 2020, lorsqu’il était passager ou au volant d’un véhicule dans la région de Montréal — sans jamais recevoir de constat d’infraction.
M. Luamba ne demandait pas d’argent comme compensation pour le traitement qu’il a subi : le jeune homme d’origine haïtienne ne souhaitait que la fin de « ce fléau qu’est le profilage racial ».
Le jugement est une victoire « retentissante », a renchéri l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), qui avait participé au débat judiciaire et soutenu M. Luamba. Il « s’est battu courageusement pour ses droits et ceux de tous les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur », a-t-elle ajouté.
Communauté noire surtout visée
Après un procès qui a duré 21 jours au printemps dernier, le juge avait noté cette évidence : en règle générale, personne n’est arrêté pour le seul fait d’être au volant d’une voiture. Mais il en va autrement pour certains, dit-il, et particulièrement pour les hommes noirs.
Car outre M. Luamba, d’autres personnes ont témoigné avoir été interceptées à répétition alors qu’elles étaient au volant d’un véhicule. Qu’avaient-elles en commun, demande le juge Yergeau ? « Être noires. »
« L’expression “driving while Black” (“conduire en étant Noir”) traduit bien cette réalité », poursuit-il.
Une question centrale se dessinait ainsi : la règle permettant les interpellations policières aléatoires est-elle mauvaise en soi, ou est-elle plutôt mal utilisée par les policiers ?
Le juge Yergeau indique que la preuve soumise au procès démontre que ce pouvoir reconnu aux policiers est « devenu pour certains un vecteur, voire un sauf-conduit, de profilage racial à l’encontre de la communauté noire ». Bref, il ne croit pas opportun que le respect de la Charte soit « laissé à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières ».
Au procès, le gouvernement canadien avait défendu la pratique policière, présentée comme étant utile pour prévenir certains crimes. En passant en revue la preuve offerte par le procureur général du Québec et par celui du Canada, le juge Yergeau a noté que les têtes dirigeantes de la sécurité publique sont conscientes des effets pervers du profilage racial et de la perte de confiance qu’il génère chez les citoyens. Il rappelle toutefois que le profilage peut s’inviter sournoisement dans la pratique policière « sans que les policiers en général soient animés de valeurs racistes ». Il relève aussi les efforts de formation des policiers au sujet du racisme, à coups de guides et de directives.
Sauf que ces efforts sont généraux, et plutôt récents, relève-t-il. Selon lui, les interpellations policières aléatoires demeurent encore « dans l’angle mort » de la lutte contre le profilage racial.
Il tranche finalement qu’aucune preuve n’a été faite que les moyens déployés au sein de la police pour faire échec au profilage racial « aient donné des résultats ».
Le procureur général du Québec, tout comme celui du Canada, peut porter ce jugement en appel.