Refuser de fournir un échantillon d’haleine est-il un crime si les policiers n’ont pas avec eux l’appareil de dépistage?

Le Code criminel prévoit que la personne arrêtée qui se fait sommer de fournir l’échantillon doit s’exécuter «immédiatement».
Photo: iStockphoto Le Code criminel prévoit que la personne arrêtée qui se fait sommer de fournir l’échantillon doit s’exécuter «immédiatement».

La Cour suprême du Canada s’est penchée mercredi sur le refus de fournir un échantillon d’haleine lorsqu’on est soupçonné d’avoir conduit en état d’ébriété. Cela constitue-t-il une infraction criminelle lorsque les policiers n’ont pas en main l’appareil pour faire le test sur le bord de la route ? Voilà la question qui a été débattue devant le plus haut tribunal du pays.

C’est une cause en provenance du Québec qui avait été choisie pour cette exceptionnelle première audience dans la province. Siégeant habituellement dans son édifice situé tout près du parlement, à Ottawa, la Cour s’est rendue dans la ville de Québec afin de mieux faire connaître son travail, et de favoriser l’accès à la justice. C’est la deuxième fois qu’elle se déracine, après avoir fait l’exercice en 2019 à Winnipeg, au Manitoba.

La cause a le potentiel de toucher bien des gens, qui pourraient se retrouver dans les souliers de Pascal Breault.

 

Intercepté par les policiers en 2017, celui-ci a refusé de leur fournir un échantillon d’haleine.

Un tel refus constitue normalement un acte criminel. Le Code criminel prévoit effectivement que la personne arrêtée qui se fait sommer de fournir l’échantillon doit s’exécuter « immédiatement ».

« Immédiatement » ou presque

Mais l’affaire avait ici cet aspect particulier : le policier n’avait pas en sa possession l’« appareil de détection approuvé » — ADA en jargon policier — lorsqu’il a donné l’ordre au conducteur de souffler.

Impossible donc pour M. Breault de fournir son échantillon « immédiatement ».

La Cour municipale a déclaré l’homme coupable, mais la Cour d’appel a infirmé cette décision en 2021. Selon elle, l’ordre donné était « invalide », car il était vide de sens, le policier n’ayant pu l’exécuter « immédiatement » puisqu’il n’avait pas en main l’appareil requis. Et si l’ordre était invalide, le refus de s’y soumettre n’était donc pas un crime.

Cette question a aussi un impact sur le droit à un avocat — protégé par la Constitution —, car celui-ci est suspendu entre l’ordre donné et le moment où la personne souffle dans l’appareil, rappelle la Cour d’appel dans sa décision. À noter aussi que cette situation est différente de celle où le policier escorte le conducteur du véhicule au poste de police pour un alcootest.

Le ministère public en a appelé de ce jugement.

 

Devant la Cour suprême, il a fait valoir que le mot « immédiatement » devait être interprété de façon flexible. Ce qui signifie « tout de suite » si l’appareil se trouve dans l’autopatrouille, ou encore d’ici 10 à 15 minutes, le temps qu’un collègue l’apporte sur les lieux.

La jurisprudence a toujours reconnu « qu’un délai était acceptable pour apporter l’appareil sur place » , a fait valoir Me Nicolas Abran pour le ministère public. Des délais de 4 à 14 minutes ont été validés par les tribunaux, a-t-il ajouté.

Et si l’individu refuse d’emblée, sa responsabilité criminelle est engagée. Le fait que l’appareil de détection arrive plus tard ne change rien, selon le procureur.

On ne pense pas que tous les policiers auront un appareil dans leur véhicule — il n’y en a pas assez — c’est pourquoi on demande une certaine flexibilité, a plaidé Me Abran.

Agir autrement imposerait un fardeau démesuré à la police, a ajouté l’avocat du Procureur général du Canada, Me Sean Gaudet.

Mais si l’alcool au volant est un « fléau » si important, pourquoi ne pas donner aux policiers les outils nécessaires ? a rétorqué le juge en chef.

Et puis, quel serait le délai raisonnable pour apporter l’appareil sur le bord de la route ? Il n’y a pas de période réglementée, a rappelé aux avocats le juge Nicholas Kasirer.

Le ministère du Procureur général de l’Ontario a plaidé que la décision de la Cour d’appel du Québec dissuaderait les gens de souffler dans l’appareil de détection.

« Oui, il faut attraper et dissuader », a convenu l’avocat de M. Breault, Me Félix-Antoine Doyon. Mais il ne faut pas que les règles soient arbitraires, dit-il, ajoutant que le nécessaire respect des libertés civiles assure aussi la sécurité de la population.

La Cour a pris l’affaire en délibéré, et un jugement sera rendu ultérieurement.

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