Le «procès secret» demeurera secret

Malgré plusieurs demandes pour faire lever le voile sur ce qui a été baptisé le « procès secret » au Québec, la Cour d’appel maintient le statu quo et refuse de révéler au public plus de détails sur cette affaire.
Dans sa décision — caviardée — de 57 pages rendue publique mercredi, la Cour a rejeté toutes les requêtes, dont celles des médias qui lui demandaient d’annuler les ordonnances de confidentialité prononcées et de dévoiler plus de renseignements sur cette poursuite criminelle intentée contre une informatrice de police. Personne n’exigeait toutefois de connaître son nom.
Le secret demeure donc sur cette cause mystérieusement libellée « Personne désignée c. Sa Majesté la Reine » et pour laquelle on ignore toujours le nom du juge, ceux des avocats, le district judiciaire où elle a été entendue et le service de police qui a enquêté.
Lorsque l’existence de ce procès fantôme avait été révélée en mars dernier, une vague d’indignation avait déferlé. Des voix s’étaient élevées pour dénoncer cette façon opaque de procéder, notamment celles du ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, du Barreau du Québec et même du juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner.
Les débats judiciaires doivent pouvoir être examinés par le public, rappelait alors le Barreau, qui précisait que ce principe est un des piliers de la démocratie et contribue à maintenir la confiance des citoyens envers le système de justice.
Protection de l’indicateur prime
Pour la Cour d’appel, ce dossier a mis en lumière « le problème de la coexistence » de deux règles : la protection de l’indicateur de police et le principe de la publicité des débats judiciaires.
Mais selon les trois juges de la Cour, le droit et la jurisprudence sont clairs et « sans équivoque » à ce sujet : le privilège de l’indicateur doit avoir préséance.
La Cour explique que ce privilège existe pour protéger ceux qui collaborent avec la police, et qu’il découle du risque de vengeance de la part des criminels. Et puis, ce privilège — absolu et vital — sert l’intérêt public, rappellent les juges.
« Il ne saurait être question de divulguer quelque renseignement susceptible de permettre d’identifier Personne désignée (l’indicatrice de police) au risque de la mettre en danger. »
Même les détails les plus anodins sont risqués, poursuit la Cour, surtout s’ils tombent entre les mains des personnes qui ont frayé avec elle. C’est aussi le cas de l’identité du juge, celle des avocats au dossier et du corps de police impliqué, tranche-t-elle, tout en convenant que « ce secret a choqué ».
Ces informations risqueraient de briser l’enveloppe de protection autour de l’indicatrice, « car ensemble ou séparément », elles « sont ici des éléments dont la révélation mènerait directement à Personne désignée ».
Bref, dans son jugement de mercredi, la Cour d’appel convient que la justice doit être publique, avec cette nuance : « Exceptions il y a et la présente affaire en est une, qui se distingue en outre par son caractère inusité et qui n’est pas, tout au contraire, le symptôme d’une justice tentée par l’opacité », écrivent les trois magistrats de la Cour.
La protection de l’indicateur ne démontre pas une volonté de cacher des choses au public, ajoutent-ils. Et si les personnes impliquées dans ce dossier ont pu avoir commis des erreurs, ils ont agi avec « la plus grande honnêteté » et rien ne permet de douter de leur bonne foi.
L’existence de ce « procès fantôme » avait été révélée en mars par un précédent jugement de la Cour d’appel. Elle avait alors prononcé un arrêt des procédures en faveur d’une indicatrice de police qui, pour une raison inconnue, s’est retrouvée accusée d’un crime… qu’elle avait apparemment elle-même dénoncé.
La Cour écrivait alors être choquée que ce procès se soit tenu dans le plus grand des secrets, à l’abri des regards. Sans ce jugement du plus haut tribunal québécois, on n’aurait même pas su qu’il s’était bel et bien tenu.
« En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués », pouvait-on lire dans le jugement de la Cour daté du 23 mars.