Alexandre Bissonnette pourra chercher une libération conditionnelle après 25 ans

En donnant raison à la Cour d’appel dans le dossier de la peine du tueur Alexandre Bissonnette, la Cour suprême annule l’un des derniers effets du durcissement du Code criminel adopté par le gouvernement Harper. « On peut parler d’une décision aux ramifications historiques », a noté l’avocat criminaliste Walid Hijazi. « C’est une décision qui sera enseignée dans les universités. »
Dans un jugement unanime rendu public vendredi, les neuf juges de la plus haute cour du pays ont maintenu la peine d’Alexandre Bissonnette à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
D’abord condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans, Alexandre Bissonnette avait vu son délai d’admissibilité ramené à 25 ans par la Cour d’appel du Québec. C’est cette décision qu’avait contestée le gouvernement du Québec devant la Cour suprême du Canada.
Le 29 janvier 2017, le résident de Québec avait fait feu sur des croyants qui priaient à la grande mosquée de Québec, faisant 6 morts et 19 blessés.
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« L’horreur des crimes ne nie pas la proposition fondamentale que tous les êtres humains portent en eux la capacité de se réhabiliter », écrit le juge en chef Richard Wagner dans une décision de près de 100 pages. D’emblée, l’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle avant 50 ou 75 ans est inconstitutionnel, affirme donc le plus haut tribunal canadien.
Une décision qui ouvre ainsi la porte à une série de révisions judiciaires.
L’article 745.51 aux oubliettes
La possibilité d’imposer de telles peines aux auteurs de meurtres multiples découlait de changements apportés au Code criminel par le gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2011. En vertu de l’article 745.51, un juge pouvait ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque vie enlevée — 25 ans — soient purgées consécutivement.
Or, le jugement de vendredi tire un trait sur l’article 745.51, et ce, de façon rétroactive. « C’est comme si la disposition n’aurait jamais dû exister », explique Walid Hijazi.
Désormais, les criminels qui se sont fait imposer de telles peines par le passé auront la possibilité de les faire réviser. Leurs condamnations ne seront par contre pas modifiées automatiquement, précise Me Hijazi. « Ils ont une démarche à faire. Ils doivent s’adresser à un tribunal. »
Mais attention, souligne la Cour suprême dans sa décision : l’arrêt Bissonnette n’implique pas que tous ces criminels pourront un jour recouvrer la liberté. « Le fait de croire que la libération conditionnelle met fin à la peine du contrevenant relève du mythe », écrivent les juges. Le meurtrier qui obtient sa libération conditionnelle demeure « assujetti à la surveillance stricte du système », et sa « liberté continue d’être considérablement restreinte ».
Le jugement souligne en outre que l’admissibilité à la libération conditionnelle après 25 ans est déjà « sévère » et que, dans d’autres pays (l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et la Suisse, entre autres), les peines peuvent être réexaminées après 12 ou 15 ans.
Au Canada, le délai de 25 ans a été établi au milieu des années 1970 « au terme d’un compromis » politique pour « satisfaire les partisans de la peine de mort » après son abolition, rappelle le plus haut tribunal du pays.
Or, depuis 2011, l’article 745.51 faisait en sorte que certains criminels ne pouvaient pas être admissibles à la libération conditionnelle de leur vivant. L’homme qui a tué trois policiers à Moncton, Justin Bourque, par exemple, n’y aurait pas eu accès avant l’âge de 99 ans. Quant à Alexandre Bissonnette, qui a enlevé la vie à six personnes, il s’exposait à l’origine à 150 ans d’attente.
Selon la Cour suprême, une telle peine porte évidemment atteinte au « droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités » garanti par l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. « Non seulement de telles peines déconsidèrent l’administration de la justice, mais elles sont cruelles et inusitées par nature », peut-on lire dans le jugement.
Déception à la mosquée de Québec
À la grande mosquée de Québec, l’heure était à la déception vendredi. Car pour bien des familles éplorées, même la peine imposée en première instance — la prison à perpétuité sans possibilité de libération avant 40 ans — n’était pas suffisante.
En point de presse, le cofondateur du Centre culturel islamique de Québec Boufeldja Benabdallah a souligné qu’il aurait souhaité éviter aux familles des victimes toute possibilité de rencontrer au hasard, dans deux décennies, le bourreau de leur être cher.
« Nous acceptons parce que nous n’avons pas d’autres recours, a-t-il déclaré. S’il nous reste un recours, c’est celui de tourner la page. »
Vendredi, le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a indiqué que le gouvernement de Justin Trudeau « respectait » la décision de la Cour suprême, même s’il « reconnaissait » auparavant le pouvoir discrétionnaire des juges conféré par l’article 745.51.
Le Parti conservateur du Canada, lui, a qualifié la décision d’« inacceptable », reprochant au plus haut tribunal du pays « de ne pas défendre les droits des victimes ». Les élus conservateurs s’engagent donc à « préconiser » dans l’avenir « une législation qui maintient les auteurs de crimes odieux derrière les barreaux », ont-ils fait valoir par communiqué.
L’ancien premier ministre Stephen Harper a lui aussi mis son grain de sel dans la discussion, en dénonçant une « grande injustice » qui « requiert une intervention du Parlement », a-t-il écrit en anglais sur Twitter.
Avec Sébastien Tanguay