Le procès secret «n’aide pas la cause de la justice», estime le juge en chef du Canada

Richard Wagner a été successivement juge à la Cour supérieure du Québec (2004-2011) et juge à la Cour d’appel du Québec (2011-2012), avant d’être nommé juge à la Cour suprême du Canada en 2012, puis juge en chef de la Cour suprême il y a quatre ans.
Photo: Mike Carroccetto Le Devoir Richard Wagner a été successivement juge à la Cour supérieure du Québec (2004-2011) et juge à la Cour d’appel du Québec (2011-2012), avant d’être nommé juge à la Cour suprême du Canada en 2012, puis juge en chef de la Cour suprême il y a quatre ans.

Le juge en chef du Canada, Richard Wagner, critique sévèrement à son tour la tenue d’un procès criminel secret au Québec. Il y voit une entorse au « principe fondamental » de la publicité des débats — ce qui « n’aide pas la cause de la justice ».

« Écoutez, c’est invraisemblable et c’est très déplorable », déclare-t-il sans détour en marge d’un grand entretien avec Le Devoir tenu en vue du 40e anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés.

À ses yeux, le procès de «Personne désignée» ou l’«indicatrice de police», dont l’existence a été révélée par la Cour d’appel du Québec, puis par La Presse, n’avait « pas sa place ». « Quand on parle d’accès à la justice, on parle de transparence. On a un principe qui est fondamental au Canada, au Québec, c’est le principe de la publicité des débats. En anglais, on dit : “open court principle”. Pourquoi cela ? C’est pour permettre aux citoyens de voir la justice en action. Il n’y a rien de caché », ajoute M. Wagner, dans la salle de lecture des juges située dans l’édifice de la Cour suprême du Canada, à Ottawa.

Questions toujours sans réponses

 

La Cour d’appel du Québec a levé une partie du voile sur le procès tenu en « huis clos complet et total », duquel « aucune trace […] n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués », par le biais d’un arrêt publié le 23 mars après avoir été corrigé et caviardé. Ni l’identité du juge, ni le district où il a présidé l’affaire, ni les accusations portées contre l’indicatrice de police ni sa sentence n’ont été révélés par le plus haut tribunal du Québec. « Je ne comprends pas ce qui s’est passé », dit simplement le juge en chef du Canada, avant d’ajouter : « Je me fie à votre travail pour découvrir ce qui est arrivé, ou à [celui] d’autres. Mais c’est sûr que ça n’aide pas la cause de la justice. »

« Erreurs » et « coches mal taillées »

M. Wagner prend soin de saluer la qualité des juges canadiens. « On a une excellente magistrature. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’erreurs qui se font des fois, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de coches mal taillées à l’occasion », mentionne le juge en chef, calé dans un fauteuil rouge vin posé devant un drapeau du Canada. « Mais généralement, on a une excellente magistrature, bien formée », poursuit-il. L’Institut national de la magistrature, qui est dirigé par des juges canadiens, mettait notamment son expertise au service d’un projet de réforme judiciaire en Ukraine avant l’invasion russe, fait-il remarquer.

Cela dit, M. Wagner redoute l’incidence que pourrait avoir toute cette affaire sur la confiance de la population à l’égard du système de justice et, plus largement, des institutions démocratiques. « Je trouve ça dommage, un incident comme celui-là [du procès secret], parce que ça en prend juste un pour susciter peut-être des doutes dans certains esprits », affirme-t-il. « Et puis ça n’a pas sa place. »

Mieux comprendre la justice

 

Richard Wagner a été successivement juge à la Cour supérieure du Québec (2004-2011) et juge à la Cour d’appel du Québec (2011-2012), avant d’être nommé juge à la Cour suprême du Canada sur proposition du premier ministre Stephen Harper, à l’automne 2012. Plus de quatre ans après avoir été élevé juge en chef de la Cour suprême par le premier ministre Justin Trudeau, il s’emploie, dit-il, à « permettre [aux Canadiens] de mieux comprendre notre système de justice », en publiant un résumé de décisions rendues par le plus haut tribunal du pays, par exemple.

M. Wagner tire une fierté de cette « initiative » — et d’autres, comme l’audition de causes à l’extérieur de la capitale fédérale ou encore la tenue d’une conférence de presse annuelle —, qui lui sert à « communiquer directement à la population, pour que la population sache à qui elle a affaire, qu’elle a un bon système de justice ». « Il faut qu’ils [les Canadiens] aient confiance dans le système de justice. Quand les gens arrêteront d’avoir confiance dans leur système de justice, ça va être le début de l’anarchie. Et plus vous avez un système de justice crédible auprès de la population, meilleure sera votre démocratie », fait-il valoir.

Retrouver les traces du procès secret

Pour en savoir plus sur le procès secret, le procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, demande à la Cour d’appel du Québec de rendre accessibles au tribunal de première instance concerné les informations nécessaires afin qu’un dossier judiciaire en bonne et due forme soit constitué, en plus de rendre publiques des portions du dossier qui ne compromettent pas le privilège de l’informateur. « La publicité des débats judiciaires, voire l’existence même d’un dossier judiciaire, est une question d’intérêt public et un principe fondamental dans toute société démocratique », souligne-t-il dans une requête datée de vendredi dernier. La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, tente pour sa part d’obtenir « sous scellé [une] copie du dossier de première instance et/ou le cas échéant de tous les éléments pertinents permettant de reconstituer le dossier ou le déroulement des procédures de première instance », après avoir tenté en vain de savoir si le procès secret a été autorisé par un magistrat sous son autorité.
 

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