Des résidents interpellent la Cour supérieure pour conserver leur RPA

Les résidents n’entendent pas se laisser faire, d’autant plus que le nouveau propriétaire du bâtiment s’était engagé dans l’acte de vente notarié à maintenir la vocation du bâtiment comme résidence privée pour aînés.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les résidents n’entendent pas se laisser faire, d’autant plus que le nouveau propriétaire du bâtiment s’était engagé dans l’acte de vente notarié à maintenir la vocation du bâtiment comme résidence privée pour aînés.

Une cinquantaine de résidents interpellent la Cour supérieure pour tenter d’empêcher le propriétaire de la résidence privée pour aînés (RPA) Mont-Carmel de convertir celle-ci en un complexe de logements locatifs où moins de services seront offerts pour un loyer plus élevé.

La demande introductive d’instance, dont Le Devoir a obtenu copie, est menée par Nicole Jetté, une dame de 79 ans qui demeure depuis 11 ans dans la RPA du boulevard René-Lévesque, au centre-ville de Montréal. La dame agit au nom de 52 autres résidents de l’établissement déterminés à défendre leurs droits.

Le 31 janvier dernier, le quotidien des quelque 200 résidents a été chamboulé lorsqu’ils ont appris dans un avis d’éviction que le nouveau propriétaire de l’immeuble entend changer l’affectation de celui-ci pour en faire un complexe de logements locatifs où les services de base de la RPA ne seront plus offerts. Des demandes de permis ont d’ailleurs été acheminées à la Ville à cet égard dans les derniers mois, indique la poursuite. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a aussi été mis au fait le 11 février de la cessation prévue des activités de cette RPA.

« C’est très stressant pour des gens de nos âges. On ne s’attendait pas à ça, évidemment », confie la résidente Constance Vaudrin, qui se remémore comment elle et ses voisins ont été « inquiets » le jour où ils ont reçu cet avis d’éviction.

« Pour moi, quand je suis arrivé ici à 76 ans, c’était ma dernière excursion », relève Normand Breault, âgé de 81 ans, qui craint de devoir quitter les lieux si la RPA perd sa vocation.

Si le projet des nouveaux acheteurs se concrétise, les résidents n’auront ainsi plus accès, comme c’est le cas actuellement, à une infirmière présente en tout temps dans le bâtiment, tandis que les boutons d’urgence disparaîtront des chambres. Une réceptionniste ne sera également plus disponible pour appeler régulièrement les résidents afin de s’assurer de leur bien-être, tandis que des lieux communs disparaîtront. « Les gens ici ne peuvent pas se passer de ça, c’est impossible », estime Mme Vaudrin, qui demeure dans ce bâtiment depuis cinq ans.

« À notre âge, c’est fondamental » d’avoir accès à ces services, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, renchérit M. Breault.

En parallèle, les résidents, qui deviendront des locataires au terme de la conversion de l’immeuble, le 31 juillet, se verront aussi imposer une augmentation de leur loyer de 3 %. Or, « en principe, un propriétaire peut retirer des services, mais il doit réduire le loyer », illustre l’avocat spécialisé en droit du logement Manuel Johnson, qui représente les résidents aux côtés de Me Julien Delangie.

« Les locataires se retrouvent avec presque aucun service qu’ils auraient dans une RPA. Donc, dans les faits, c’est beaucoup plus que 3 % d’augmentation », analyse également Me Delangie.

L’avocat craint par ailleurs qu’en vertu d’une disposition du Code civil, les locataires ne soient pas en mesure de faire fixer leur loyer par le Tribunal administratif du logement (TAL) pendant les cinq années qui suivront le changement d’affectation prévu. « Ça permet aux spéculateurs d’augmenter les loyers à leur guise pendant les cinq prochaines années », souligne Me Johnson, au sujet de cette disposition légale.

Tenir le coup

 

Les résidents n’entendent toutefois pas se laisser faire, d’autant plus que le nouveau propriétaire du bâtiment depuis décembre dernier, une société en commandite derrière laquelle se trouve l’acheteur Henry Zavriyev, s’était engagé dans l’acte de vente notarié à « respecter l’exploitation de l’immeuble », acquis pour 40 millions de dollars, à titre de RPA. Les avocats des locataires ont par ailleurs constaté que plusieurs résidents ont reçu des avis d’éviction qui ne respectent pas le délai de six mois établi par le Code civil du Québec.

Après avoir acheminé à la fin février de multiples demandes au TAL en opposition au changement d’affectation du bâtiment, qui feront l’objet d’audiences en mai, les résidents sont passés à l’étape suivante mardi en déposant une demande d’injonction interlocutoire et permanente devant la Cour supérieure pour confirmer l’obligation qu’a, selon eux, cet immeuble de demeurer une RPA. « Il faut que cette stipulation dans l’acte de vente veuille dire quelque chose », maintient Me Delangie.

Dans leur requête, les résidents demandent donc au tribunal d’ordonner au nouveau propriétaire de « cesser immédiatement » les travaux visant à convertir cet immeuble en complexe locatif et de « prendre les mesures nécessaires pour maintenir les services dispensés par la résidence privée pour aînés Mont-Carmel » ainsi que la certification de RPA du bâtiment.

Les propriétaires de la RPA, qui ont confié la gestion de celle-ci au Groupe LRM, ont refusé de commenter la situation mercredi.

 

« Le nouveau propriétaire n’était pas conscient qu’il y avait en fait un certain nombre de personnes qui ont mis leurs culottes pour s’accrocher », illustre également M. Breault, qui entend tenir tête à l’entreprise coûte que coûte. « On s’est embarqués, on ne lâche pas. »

Changer le Code civil

 

Cette saga survient au moment où de nombreuses RPA à travers le Québec ont dû fermer leurs portes dans les derniers mois.

Dans ce contexte, une pétition soutenue par la députée solidaire Manon Massé, qui a recueilli près de 4000 signatures jusqu’à présent sur le site de l’Assemblée nationale, réclame des modifications au Code civil afin d’interdire le changement d’affectation des RPA.

Dans le cadre de l’étude du projet de loi 101 concernant la maltraitance envers les aînés, Québec solidaire a tenté d’ailleurs d’apporter des amendements à celui-ci afin d’exiger notamment des acheteurs de RPA qu’ils en maintiennent la vocation. Le parti souhaitait aussi que les hausses des loyers soient mieux contrôlées dans ces bâtiments.

Or, « tout ça a été refusé par la ministre » responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, soupire Manon Massé, en entrevue au Devoir. « Il y a du travail à faire de ce côté-là. »

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