Rétrovirologie - Des pistes de recherche oubliées
Des millions de dollars sont investis dans la recherche du médicament qui viendra à bout du virus qui cause le sida. Pour sa part, l'Université du Québec à Montréal (UQAM) vient à peine de se doter d'un laboratoire pour démystifier ce virus d'immunodéficience humaine (VIH). Pour la petite équipe en place, la course contre la montre est déjà commencée.
La peinture est encore fraîche sur les murs du tout nouveau pavillon des Sciences biologiques de l'UQAM. Le laboratoire du chercheur Benoît Barbeau n'est même pas encore terminé: il reste plusieurs équipements à installer et le manuel de procédures de Santé Canada à compléter. Néanmoins, le lancement de sa nouvelle Chaire de recherche du Canada en rétrovirologie humaine laisse présager d'importantes avancées scientifiques.C'est que les recherches que poursuivra le spécialiste en biologie moléculaire sont loin de ressembler à tout ce qui s'est fait jusqu'à maintenant sur le VIH: «Le sujet lui-même a déjà été énormément étudié et il y a eu beaucoup de recherches différentes sur ce virus, relate le jeune chercheur de 39 ans. On en connaît maintenant tous les gènes, mais il reste encore beaucoup de questions sans réponse». Il affirme que les gens pensent, à tort, qu'on a fait le tour du problème et qu'on lui accorde maintenant moins d'importance: «Aujourd'hui, les recherches dans ce domaine sont très pointues et ce sont les thèmes les plus à la mode qui obtiennent la majeure partie des subventions et de l'attention. De notre côté, on en est encore à étudier l'expression des gènes.»
L'expression des gènes?
Il existe dans une cellule humaine deux sortes d'acide nucléique: l'ADN et l'ARN. La copie (ou transcription) de l'ADN — porteuse des caractères héréditaires de l'humain — en ARN est cruciale pour que les gènes puissent remplir leur rôle. Les rétrovirus de type HTLV-1 et VIH se distinguent des autres virus ordinaires par une étape de reproduction inverse, d'ARN en ADN, une fois qu'ils sont entrés dans une cellule.
La mince équipe de Benoît Barbeau fait toutefois le pari qu'un autre scénario est possible avec le VIH, responsable du syndrome d'immunodéficience acquise (sida). Une piste de recherche élaborée il y a 16 ans, et laissée de côté par les chercheurs du monde entier, intrigue maintenant le milieu scientifique. On avait alors émis l'hypothèse d'un deuxième type de production d'ARN à partir de l'ADN.
Benoît Barbeau a notamment participé à la rédaction d'un article qui démontrait l'existence d'un tel phénomène dans un autre type de rétrovirus: le HTLV-1. S'il est moins dommageable pour l'être humain que le VIH, le HTLV-1 cause notamment la leucémie.
Cette nouvelle supposition n'est cependant pas encore reconnue: «Dans le cas du HTLV-1, les gens n'y croyaient pas au début. Aujourd'hui, les résultats sont solides, clairs et nets. Il n'y a plus de doute possible sur l'hypothèse initiale. Dans le cas du VIH, il faudra être absolument certains des résultats que nous produirons car, pour convaincre le milieu scientifique, il faut arriver avec des conclusions en béton», indique le chercheur. Mais l'équipe de l'UQAM n'est pas la seule à travailler dans cette direction, d'autres sont aussi à l'oeuvre pour démontrer concrètement que cette nouvelle hypothèse est véridique. Il est vrai que la découverte du traitement qui permettra d'endiguer le sida risque de procurer fortune et célébrité à celui qui le mettra à jour. On n'a qu'à penser au célèbre 3TC, découvert à l'université McGill par l'équipe du Dr Bernard Belleau, et qui est aujourd'hui inclus dans la plupart des mélanges de médicaments employés pour traiter les personnes infectées par le VIH. Une découverte qui a rapporté beaucoup d'argent!
Une recherche fondamentale essentielle
Le virus d'immunodéficience humaine est l'un des plus difficiles à cerner: il mute continuellement et parvient toujours à trouver une solution pour contrer les médicaments destinés à lui barrer la route. Cette terrible maladie emmènera vers la mort la totalité des personnes infectées, soit près de 40 millions de personnes autour du globe. L'Afrique demeure le continent le plus touché. Au Canada, le taux d'infection au VIH représente près de 0,3 % de la population. Le virus s'attaque au système immunitaire et cause une maladie chronique progressive qui rend les personnes atteintes vulnérables aux infections et aux cancers. La période moyenne entre l'infection et le moment où le sida est diagnostiqué dépasse maintenant
10 ans. Il n'existe cependant encore aucune façon d'en guérir.
Même si les études menées à l'UQAM ne se rendront pas jusqu'à la création d'un nouveau médicament révolutionnaire, les recherches montréalaises dans cette direction prometteuse permettront de mieux connaître l'expression de ce rétrovirus, d'en avoir une meilleure explication et d'établir de nouvelles cibles thérapeutiques. On pourra ainsi améliorer les possibilités de traitement des patients atteints du sida et d'autres symptômes reliés aux infections de type rétroviral.
Qu'une telle initiative émane d'une université constitue aussi un fait important à souligner puisque ce type de recherche n'aurait jamais pu être réalisé dans une entreprise privée. Les travaux de Benoît Barbeau s'inscrivent dans la tradition de la recherche fondamentale, c'est-à-dire qu'ils sont orientés vers l'étude des bases d'une discipline dont les applications pratiques ne sont pas immédiates. Ils vont également à contresens de la rentabilité et du profit, car le choix de l'axe de la recherche est ici laissé au chercheur. Le tout se doit néanmoins d'être innovateur pour convaincre les organismes subventionnaires d'accorder les sommes nécessaires pour équiper les laboratoires, payer les salaires, et embaucher quelques élèves pour soutenir le chercheur.
Action des rétrovirus
Grâce à l'énorme projet scientifique de séquençage des gènes de l'être humain (afin de déterminer l'ordre de succession des bases de l'ADN), on sait maintenant qu'environ 8 % de notre bagage génétique est constitué de rétrovirus endogènes (c'est-à-dire issus d'une cause interne du corps humain). Si ces types de rétrovirus ne sont pas néfastes pour l'organisme, leur présence demeure un vaste terrain à défricher. De quoi alimenter les futures recherches de la nouvelle chaire.
Pour l'instant, le chercheur ne compte que sur l'aide d'un seul étudiant, inscrit au doctorat, qui l'a suivi depuis Québec pour s'installer dans les locaux de l'UQAM. Pour le titulaire de la chaire, Benoît Barbeau, c'est un retour dans l'institution montréalaise après avoir travaillé au Centre de recherche en infectiologie de l'université Laval. C'est son ancien professeur Éric Ressart qui l'a incité à soumettre sa candidature au poste. Maintenant qu'il est installé aux commandes de son propre laboratoire avec une équipe qui s'agrandit tranquillement (il a maintenant une assistante de recherche et quelques étudiants se joindront à l'équipe au prochain semestre), la course à la découverte d'une nouvelle percée en biologie moléculaire est lancée.
Plusieurs problèmes restent cependant à surmonter avant de crier victoire. Attendre la fin de la construction du laboratoire (avec un niveau de sécurité de type P3) n'est que la pointe de l'iceberg pour la jeune équipe de chercheurs, car il n'est pas aisé de réaliser de nouvelles découvertes dans un domaine méconnu. Mais avec les répercussions positives que les recherches menées par l'équipe de Benoît Barbeau risquent d'occasionner, il y a fort à parier que le jeu en vaudra la chandelle.
Collaborateur du Devoir