Mieux enseigner l’inuktitut et la langue seconde

Au Nunavik, les élèves apprennent dans un contexte différent de celui qui prévaut plus au sud. S’il y a de grands défis à relever dans les écoles — et dans les communautés —, il y a aussi de petits miracles chaque jour. Le Devoir vous propose une série de reportages sur ce système d’éducation unique. Aujourd’hui : l’inuktitut, une langue en péril.
Dans les écoles du Nunavik, on s’apprête à faire une petite révolution dans les langues d’enseignement. Si tout va comme prévu, les élèves feront d’ici quelques années tout leur parcours scolaire simultanément en inuktitut et dans une deuxième langue.
Depuis près de 50 ans, dans les écoles au nord du 55e parallèle, l’enseignement se fait uniquement en inuktitut de la maternelle à la 2e année. En 3e année, les élèves font la transition vers la langue seconde : le français ou l’anglais, au choix des parents. Tout le reste de leur parcours scolaire se fait alors dans cette deuxième langue.
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L’effritement de l’inuktitut chez les jeunesSauf que la transition est difficile, constate Alaku Kulula, directrice adjointe des programmes d’enseignement en langue maternelle à la Commission scolaire Kativik. « Ils frappent un mur, affirme-t-elle, en entrevue par vidéoconférence. Ils sont super bons, mais ils éprouvent tout de même des difficultés. »
Lise Deschênes, professeure de français langue seconde en 4e, 5e et 6e années à l’école Sautjuit de Kangirsuk, constate elle-même la difficulté d’enseigner l’ensemble des matières de base dans une langue que les jeunes ne maîtrisent pas encore.
Lorsqu’ils arrivent en 4e année, ils ont oublié les notions apprises en 3e année et peinent à comprendre « Comment tu t’appelles ? », explique-t-elle. Alors, enseigner les mathématiques, les sciences, les arts plastiques et l’univers social, en français, c’est « assez impossible ».
Pour s’assurer que ses élèves comprennent certains concepts, elle n’a souvent d’autres choix que de se tourner vers l’anglais, la langue commune. Ils apprennent vite, précise-t-elle, vantant sans réserve l’intelligence de ses élèves.
Nos élèves arrivent au postsecondaire et ne se sentent pas prêts
Mais malgré leurs efforts, les élèves ne rattrapent jamais complètement leur retard, constatent les responsables de la commission scolaire. En 2021, des experts ont évalué la mise en oeuvre du curriculum dans les écoles du Nunavik. « Le résultat est très clair : nos attentes en français et en anglais sont en deçà des attentes des programmes de seconde langue de base, résume Yasmine Charara, directrice adjointe des services éducatifs en langues secondes à la Commission scolaire Kativik. Il faut qu’on s’occupe de ça parce qu’effectivement, nos élèves arrivent au postsecondaire et ne se sentent pas prêts. »
Consolider l’inuktitut
L’autre problème, avec le modèle actuel, c’est qu’il ne permet pas aux élèves de consolider suffisamment l’apprentissage de leur langue maternelle, l’inuktitut.
Les nouvelles recherches démontrent en effet que la maîtrise de la langue maternelle de l’enfant joue un rôle crucial pour l’apprentissage des autres langues, tout au long de sa vie. C’est aussi déterminant pour sa réussite scolaire.
À la lumière de ces constats, la commission scolaire réfléchit à la façon dont elle pourrait changer les choses pour renforcer à la fois l’inuktitut et la langue seconde.
« On révise notre curriculum pour s’assurer que nos élèves ont le niveau requis », résume la directrice générale de la commission scolaire, Harriet Keleutak, en entrevue par vidéoconférence.
Les discussions vont bon train, précise-t-elle. Le nouveau curriculum pourrait être implanté comme projet-pilote d’ici deux ans dans trois écoles du Nunavik. Dès lors, les élèves feraient tout leur parcours scolaire dans les deux langues, de la maternelle à la 5e secondaire.
D’ici là, Lise tente d’apprendre l’inuktitut pour une meilleure communication avec ses élèves. « J’ai essayé, j’essaie encore », confie-t-elle. Elle aimerait bien avoir elle-même un professeur d’inuktitut, car elle ne peut se fier à ses élèves, a-t-elle appris à ses dépens. « À un moment donné, les enfants me faisaient dire n’importe quoi, raconte-t-elle en riant. Les parents l’ont su, ils n’étaient pas contents. Alors, j’ai arrêté de demander aux enfants… »
Ce reportage a été réalisé en partie grâce au soutien financier de la Commission scolaire Kativik.