Écoles compatissantes au Nunavik

L’approche de la Commission scolaire Kativik vise à mieux accueillir les élèves qui vivent des traumatismes et réduire l’impact des problèmes sociaux.
Photo: Jessica Nadeau Le Devoir L’approche de la Commission scolaire Kativik vise à mieux accueillir les élèves qui vivent des traumatismes et réduire l’impact des problèmes sociaux.

Au Nunavik, territoire inuit au nord du 55e parallèle au Québec, les élèves apprennent dans un contexte différent de celui qui prévaut plus au sud. S’il y a de grands défis à relever dans les écoles — et dans les communautés —, il y a aussi de petits miracles chaque jour. Le Devoir vous propose une série de reportages sur ce système d’éducation unique. Aujourd’hui : le concept des écoles compatissantes.

« Les familles font face à un taux très élevé d’insécurité alimentaire et de pauvreté, ce qui fait en sorte que de nombreux enfants n’ont pas leur propre lit, encore moins leur propre chambre, et qu’ils vont se coucher le ventre vide. Les besoins de base ne sont pas comblés et, pourtant, on s’attend à ce que ces enfants réussissent à l’école. »

Ces mots saisissants, ce sont ceux d’Inuits qui s’exprimaient en 2013 sur l’état de l’éducation au Nunavik.

Plus récemment, des chercheurs engagés par la Commission scolaire Kativik rapportaient l’expérience d’enseignants montrant que des parents non scolarisés sont mal outillés pour soutenir l’apprentissage de leurs enfants. « Les devoirs ne sont pas faits parce qu’ils ne savent pas comment les faire, il n’y a pas de crayons à la maison, il n’y a pas d’endroit pour faire le travail. »

Un autre enseignant révélait que, dans certaines classes, la majorité de ses élèves avaient fait plus d’une tentative de suicide et que c’était généralement lui qui les trouvait. Certains élèves se présentaient en classe en état d’ébriété et explosaient parfois sans raison apparente, mais ils avaient persévéré, contre vents et marées, et obtenu leur diplôme d’études secondaires.

Si les problèmes sociaux dépassent largement les champs de compétence des écoles, celles-ci tentent tant bien que mal d’en réduire les impacts pour permettre aux enfants d’avoir l’esprit disponible pour l’apprentissage quand ils sont en classe.

« On fait ce qu’on peut pour soutenir les jeunes à l’école et leur permettre d’obtenir des succès scolaires », raconte en entrevue par vidéoconférence Liza Cotnoir, coordonnatrice des services complémentaires et compatissants à la commission scolaire.

On essaie d'intervenir de façon à enseigner aux élèves des compétences [sociales] plutôt que de les punir ou de les suspendre constamment

 

Ainsi, les écoles ont mis sur pied un club des petits-déjeuners pour permettre aux élèves de manger des aliments sains le matin. « Voir un enfant qui a faim, ça m’écoeure », dit l’enseignante Marie-Louise Nkwaya, qui prépare régulièrement des petits plats avec ses élèves sur l’heure du dîner.

Au Nunavik, le taux de grossesse chez les adolescentes de 14 à 17 ans est quatre fois plus élevé que dans le reste du Québec. Pour permettre aux jeunes filles de poursuivre leurs études, l’école de Salluit a une pouponnière. Dans d’autres communautés, comme à Kangirsuk, les campagnes de sensibilisation sur la contraception portent leurs fruits. « On n’a presque plus de grossesses chez les adolescentes », se félicite Minnie Annahatak, qui travaille pour la Commission scolaire Kativik à Kangirsuk.

Soutien émotionnel

Depuis quelques années, de plus en plus de ressources sont déployées par le département des services complémentaires et compatissants de la commission scolaire. En 2015-2016, en réponse à une vague de suicides qui a ébranlé la région, on a mis sur pied un projet pilote en créant six postes de professionnels de soutien aux élèves. Aujourd’hui, ils sont trois fois plus nombreux et font partie du paysage scolaire.

« Je suis allée remplacer la professionnelle de soutien aux élèves dans une école pour une journée », raconte la coordinatrice Liza Cotnoir. Ce jour-là, 74 jeunes sont passés par son bureau, pas tous pour obtenir de l’aide, mais pour dire bonjour. « C’est la relation de confiance qui s’établit. Ils viennent prendre la température de l’eau et, quand ils vont vivre un moment difficile, ils vont savoir que la porte du bureau est toujours ouverte. »

Photo: Jessica Nadeau Le Devoir Au Nunavik, « les devoirs ne sont pas faits parce qu'ils ne savent pas comment les faire, il n'y a pas de crayons à la maison, il n'y a pas d'endroit pour faire le travail ».

Malgré les besoins, plusieurs postes de professionnels de soutien aux élèves, de psychologues et de psychoéducateurs sont vacants dans les écoles de la Commission scolaire Kativik, en raison notamment de la pénurie de main-d’oeuvre.

« On n’est pas à 100 % partout, mais ça va de mieux en mieux dans notre département. Il y a une collaboration et une vision qui nous permettent de mettre notre énergie pour favoriser le succès des élèves », explique Liza Cotnoir.

Écoles compatissantes

Les écoles adhèrent également au concept de l’approche compatissante, un modèle développé aux États-Unis et adapté au Nunavik. Il vise à mieux accueillir les élèves qui vivent des traumatismes en reconnaissant qu’ils ne sont pas toujours disponibles pour les apprentissages.

« Il y a certaines difficultés dans les écoles sur le plan comportemental, résume Catherine Hallé, la responsable du département. On essaie d’intervenir de façon à enseigner aux élèves des compétences [sociales] plutôt que de les punir ou de les suspendre constamment. »

Des formations sont offertes aux enseignants et au personnel des écoles pour leur apprendre à décoder un message derrière certains comportements répréhensibles et leur donner des outils pour mieux y répondre. « On les informe sur l’importance d’essayer de comprendre pourquoi les élèves ont ces comportements et ce qu’ils peuvent faire pour que ça change. »

Avec cette philosophie en tête, chaque école et chaque enseignant est libre d’adapter son approche en fonction de ses besoins. Et les résultats varient d’un endroit à l’autre, en fonction de l’implication du personnel. Catherine Hallé n’a pas de statistiques, mais elle assure que « ça a un impact super positif » sur le climat dans les écoles. Elle note par ailleurs une baisse de la violence, des comportements répréhensibles et des suspensions à l’école, mais estime aussi que cela va bien au-delà du milieu scolaire. « Ça rayonne dans toute la communauté », conclut-elle.

Ce reportage a été réalisé en partie grâce au soutien financier de la Commission scolaire Kativik.

À voir en vidéo