L’école à trois vitesses n’est pas une «idéologie», estiment des professeurs

L’existence d’un système scolaire « à trois vitesses » au Québec n’est « ni un slogan ni une idéologie », écrit un groupe de 26 professeurs qui reprochent au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, de cultiver le déni d’un « problème réel » qui menace le droit à l’éducation.
« […] Nier ou ignorer cette réalité de l’existence du marché scolaire, d’une école à trois vitesses, voire plusieurs vitesses, et ses effets négatifs sur la démocratisation de l’éducation au Québec semble cacher une certaine idéologie s’éloignant du droit à l’éducation inscrit dans la Loi sur l’instruction publique », écrit le professeur Pierre Canisius Kamanzi, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.
Il a publié mercredi une lettre ouverte cosignée par 25 autres professeurs, en réaction aux propos tenus par le ministre de l’Éducation la semaine dernière. Au Devoir, M. Drainville a déclaré le 15 mai que « la thèse sur l’école à trois vitesses a un biais idéologique ». Il s’est rapidement amendé pour parler d’un « biais conceptuel ».
« Dans le cas de l’école à trois vitesses, comment dire ? Les fondements sur lesquels s’appuie cette thèse m’apparaissent contestables », a entre autres affirmé l’élu.
Sans le nommer, M. Drainville s’en est pris aux travaux du professeur Kamanzi. Celui-ci a publié en 2019 une étude dans laquelle il relève que les élèves ayant fréquenté le secondaire public régulier accèdent à l’université dans une proportion de 15 %. Pour les élèves du secteur public qui ont fait partie de programmes spécialisés (en mathématiques, en sciences ou en langues), ce taux augmente à 51 %. Pour ceux qui ont fréquenté le secondaire privé, il grimpe à 60 %.
Le ministre a dit reconnaître que l’accès à l’université est un « indicateur important » et souhaiter « que le maximum d’élèves aient accès à l’université ». « Mais de là à dire que cet accès à l’université va déterminer si le système scolaire est égalitaire ou inégalitaire, ça me semble un peu court. Ça me semble être un raccourci intellectuel éminemment contestable », a-t-il ajouté.
« Pas de biais »
En entrevue au Devoir, le professeur Kamanzi rappelle que son travail s’appuie sur des données qui proviennent entre autres de Statistique Canada et du ministère de l’Éducation. « De mon côté, il n’y a pas de biais. Tout ce que j’ai fait, c’est documenter avec des données empiriques, des données fiables, une réalité que tout le monde connaît depuis des années », a-t-il déclaré.
Selon ses observations, le système québécois à trois vitesses « nous éloigne du droit d’accéder à la même qualité d’éducation pour tous les élèves ».
Or, « ce droit d’accéder à la même qualité d’éducation pour tout le monde, ce n’est pas mon idéologie ni ma conception », précise-t-il. « C’est plutôt la conception de la commission Parent, dans les années 1960, qui a donné lieu à la réforme. C’est aussi la conception de la réforme du Renouveau pédagogique [déployée en 2005]. »
Le professeur Kamanzi ajoute que la « séparation précoce des élèves » est un des « aspects faibles » du système d’éducation québécois, qui a pour résultat une « qualité de formation inégale ».
« Et ceci peut s’expliquer parce que le gouvernement est très préoccupé par l’amélioration du rendement, de la réussite, de l’excellence pour être plus compétitif par rapport au reste du Canada et à d’autres pays, sans se rendre compte qu’un des facteurs principaux pour avoir une société d’excellence est d’amener les enfants à apprendre ensemble, à se tirer vers le haut », fait-il valoir.
« L’excellence, la prioriser, c’est important pour que la société se distingue, ajoute-t-il. Mais encore faut-il que cette excellence soit conciliée avec la justice sociale et [la justice] scolaire, qui font partie des finalités du système scolaire de la réforme Parent, et qui font aussi partie des principes de la société québécoise. »