L’école comme espace sécuritaire

Au Nunavik, territoire inuit au nord du 55e parallèle au Québec, les élèves apprennent dans un contexte différent de celui qui prévaut plus au sud. S’il y a de grands défis à relever dans les écoles — et dans les communautés —, il y a aussi de petits miracles chaque jour. Le Devoir vous propose une série de reportages sur ce système d’éducation unique. Aujourd’hui : comment les écoles tentent de réduire l’impact des problèmes socio-économiques sur l’apprentissage.
Dimanche après-midi, à Salluit. Les aboiements des chiens se mêlent au ronronnement des motoneiges. Tout le village semble s’être donné rendez-vous dans le gymnase de l’école secondaire Ikusik pour la finale de soccer qui oppose les élèves de différentes communautés du Nunavik. Le soccer, comme le sport en général, est populaire auprès des élèves. Et les professeurs utilisent cet intérêt pour les raccrocher à l’école… et à la vie.
« Au lieu de penser à fumer ou à se suicider, ils viennent ici pour jouer au soccer », affirme fièrement Sébastien Pongui Bayette, enseignant de mathématiques et de sciences en 7e année et instigateur de ce tout premier tournoi de soccer au nord du 55e parallèle.
Depuis trois mois, les jeunes passent toutes leurs fins de semaine à l’école pour les séances d’entraînement. Leurs efforts ont porté leurs fruits : l’équipe de Salluit a remporté la médaille d’or. Mais ce qui rend l’enseignant encore plus fier, c’est de réaliser qu’il a réussi, grâce à cet événement, à favoriser l’assiduité chez eux, et même à en raccrocher quelques-uns. « On a des élèves qui ne venaient plus et qui ont réintégré l’école pour participer au tournoi. »


Sébastien n’est pas le seul enseignant du Nunavik à utiliser les mots « espace sécuritaire » pour désigner l’école. Dans des communautés où les maisons sont surpeuplées et où il n’y a ni cinéma ni restaurant, plusieurs voient l’école comme un refuge, un point d’ancrage. Les directions d’école misent là-dessus, en offrant une quantité phénoménale d’activités parascolaires.
« On a des activités tous les jours », affirme fièrement le directeur de l’école secondaire Ikusik, à Salluit, Robert Chauveau, qui reconnaît l’engagement extraordinaire des enseignants dans cette mission. « Les jeunes aiment venir à l’école parce que c’est le lieu de rencontre, le lieu social. Leurs amis sont là, il y a des activités qui ont lieu. Ils ne viennent pas nécessairement à l’école pour les apprentissages, mais pour la vie qu’il y a autour. »

« Nulle part où aller »
Le parascolaire est tout aussi présent à l’école Sautjuit, à Kangirsuk. Sai Niranjan Jyothimahalingam y travaille comme tuteur de mathématiques pour l’organisme Littératie Ensemble. « Mon mandat, c’est de m’assurer que les maths ne soient pas une barrière à la diplomation, avec une attention particulière auprès des jeunes de 5e secondaire, explique-t-il. Mais dans la réalité, si je ne me concentre que sur les maths, je vais avoir beaucoup de temps libre. Alors je fais beaucoup d’extrascolaire. »
C’est tout naturellement qu’il est devenu entraîneur de l’équipe de volleyball féminine de l’école. Il organise également des parties de murderball — un jeu de ballon très prisé ici — des soirées de jeux de table et des tournois d’échecs. « Ça leur permet d’être dans un endroit sécuritaire, c’est un besoin pour les jeunes, surtout depuis que l’aréna municipal est fermé, ils n’ont nulle part où aller. »
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Ces activités lui permettent également de créer un lien avec les adolescents, qui seront plus enclins par la suite à lui demander de l’aide en maths, une matière particulièrement mal aimée. « Les jeunes ont de la difficulté à comprendre à quoi ça va leur servir d’apprendre les maths. Ils répètent : “Je vais être un youtubeur, je n’ai pas besoin d’apprendre ça.” Et moi, je leur réponds : “Mais tu vas faire des millions de dollars comme youtubeur, il va falloir que tu saches gérer ton budget !” »

Des initiatives porteuses
Les enseignants prennent beaucoup d’initiatives personnelles pour attirer et garder les jeunes à l’école. À l’école Sautjuit, par exemple, l’enseignant Sylvain Boudreau a complètement réaménagé l’ancien studio de musique qui servait de pièce de rangement. Les vieux violons, accordéons et ukulélés qui amassaient la poussière ont été remplacés par une batterie et des guitares flambant neuves. « Les élèves aiment vraiment la musique, ils veulent tous essayer la batterie. » Voyant leur engouement, il a construit avec eux un petit studio d’enregistrement.
Sylvain est responsable du programme de préparation au travail, qui s’adresse aux jeunes en difficulté ou à risque de décrochage. Au fil des années, il a développé des projets de réparation d'iPhone, de menuiserie et un service de traiteur. Depuis maintenant trois ans, il opère un garage de petits moteurs (quatre roues, motoneiges). « J’ai trouvé une façon d’embarquer les élèves dans un projet dont la communauté a vraiment besoin », souligne-t-il avec fierté.
Sa plus grande satisfaction, c’est de se sentir intégré dans la communauté. « À la coop [l’épicerie], 100 % des gens me saluent. Certains me demandent si je peux les aider avec leur Skidoo. Je me fais inviter tout le temps pour aller en excursion et à la pêche. « Tu ne peux pas venir ici et ne pas t’impliquer dans les activités de la communauté. Il faut que tu redonnes. »
C’est cet enthousiasme des enseignants à proposer des projets rassembleurs et, surtout, la facilité avec laquelle ces initiatives peuvent se mettre en place dans les écoles du Nunavik qui font la joie du directeur de l’école Ikusik, à Salluit, Robert Chauveau. « Des projets de plusieurs milliers de dollars qui prendraient des années à se financer au Sud aboutissent ici en un rien de temps. On repousse les limites dans la communauté pour aider les jeunes à se réaliser. »
Ce reportage a été réalisé en partie grâce au soutien financier de la Commission scolaire Kativik.