Bienvenue à l’école Sautjuit de Kangirsuk

Au Nunavik, territoire inuit au nord du 55e parallèle au Québec, les élèves apprennent dans un contexte différent de celui qui prévaut plus au sud. S’il y a de grands défis à relever dans les écoles — et dans les communautés —, il y a aussi de petits miracles chaque jour. Le Devoir vous propose une série de reportages sur ce système d’éducation unique.
En bordure de la baie d’Ungava, encore prise dans les glaces d’avril qui s’entrechoquent au gré des marées, se dresse le village de Kangirsuk. Des maisons colorées se succèdent de part et d’autre de la route qui monte et descend à travers le village enclavé entre les montagnes et accessible uniquement par avion.
Au sommet d’une butte, près de l’aréna municipal aux couleurs du Canadien de Montréal, l’école Sautjuit semble dominer le village, offrant une vue imprenable sur le territoire de pêche qui se mêle au ciel dans différentes teintes de blanc.
Le lien au territoire est omniprésent et s’inscrit jusque dans le nom de l’école. « Sautjuit, ça désigne un banc de phoques sur la banquise, lance le directeur du centre, Alec Kudluk, tout sourire, en ouvrant la porte. C’est un peu comme les élèves ici, qui sont tous groupés ensemble. C’est un bon nom, je trouve. »
Ce texte est publié via notre section Perspectives.
L’autobus dépose les enfants. D’autres arrivent avec leurs parents en quatre-roues ou en motoneige. Ils sont peu nombreux. L’école accueille 114 élèves au total, du primaire et du secondaire — dans un village qui compte moins de 600 habitants —, mais plusieurs sont en retard ou ne viennent pas en classe.
L’absentéisme est une réalité quotidienne qui s’est exacerbée depuis la pandémie, note Joseph Vettickal, professeur de mathématiques et de sciences au secondaire pour le secteur anglais langue seconde depuis neuf ans. Plusieurs écoles du Nunavik, dont celle de Kangirsuk, ont été fermées pendant de longs mois l’an dernier, causant d’importants retards sur le plan scolaire. « Je ne sais pas si c’est parce qu’ils se sont habitués à rester à la maison quand l’école était fermée, mais je n’ai jamais eu aussi peu d’élèves dans ma classe », observe-t-il, découragé.
Cette semaine, la situation est exceptionnelle, car quelques élèves sont partis en excursion sur le territoire avec des enseignants et l’organisme Jeunes Karibus (voir encadré). N’empêche, ils ne sont que deux sur dix dans la classe de Joseph ce matin-là.
James, 14 ans, se considère comme un bon élève et rêve de devenir ingénieur. Ce qu’il préfère à l’école, ce sont les récréations, répond-il timidement. Derrière, Kanusa soupire en mangeant des raisins qu’il vient de prendre dans la boîte du Club des petits-déjeuners, fournie dans toutes les classes. Pour lui, le seul intérêt à l’école, c’est la gymnastique.

Un festin de minipizzas
« Je ne peux pas mentir, c’est dur, mais je rends ça facile », confie Marie-Louise Nkwaya, qui enseigne elle aussi les mathématiques et les sciences au secondaire, mais au secteur français langue seconde. « Des fois, je prépare la leçon, mais personne ne vient. Ils vont le dire sans gêne : “Ça ne me tentait pas de venir ce matin.” Le printemps, c’est une période très difficile où tout le monde est fatigué. Mon esprit travaille fort pour les faire venir à l’école et les motiver. »
Le lendemain, Marie-Louise se retrouve justement avec une classe vide. Mais celle que l’on surnomme affectueusement Mamalou a plus d’un tour dans son sac. Elle apostrophe la directrice adjointe dans le corridor. « Winnie, j’ai besoin de ton aide. Passe un message à la radio pour dire qu’il va y avoir un festin de minipizzas ce midi, comme ça, ils vont venir. Les parents vont réveiller les enfants quand ils vont entendre ça. »
Deux heures plus tard, Mamalou est dans la cuisine, tout sourire, distribuant ses ordres à une poignée d’élèves qui coupent les légumes et étalent la sauce sur des tortillas en riant.

Personne ne porte de lunettes roses, on sait bien que les absences et les retards non motivés sont problématiques. On avise les parents, mais de façon générale, dans les écoles du Nunavik, on choisit de faire du renforcement positif plutôt que de taper sur les doigts des fautifs.
On ne sait pas ce qu’ils ont vécu à la maison, on ne connaît pas le contexte derrière le retard ou l’absence. De nombreux rapports ont démontré au fil des ans que les conditions socioéconomiques difficiles, dont la surpopulation dans les maisons au Nunavik, avaient un impact négatif sur le cheminement scolaire des enfants. Alors, lorsqu’ils se présentent en classe, on salue l’effort qu’ils font, quelle que soit l’heure à laquelle ils arrivent.
Des élèves exceptionnels
« Quand ils sont présents, les élèves sont vraiment bons », dit avec fierté Joseph, qui a enseigné à bon nombre de jeunes professeurs de l’école.
« Ce sont des enfants exceptionnels, renchérit Lise Deschênes, qui enseigne le français langue seconde aux élèves de 4e , 5e et 6e années depuis sept ans. Ce sont des enfants trilingues, superdébrouillards et autonomes. Il y a cette liberté qu’on donne aux enfants ici, et ça, on n’en entend jamais parler. »
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Le mot « liberté » revient souvent dans la bouche des enseignants qallunaat (nom donné par les Nunavikois aux non-Inuits). Ils apprécient la souplesse des règles et la grande autonomie dont ils jouissent. Comme les classes sont peu nombreuses et regroupent souvent plusieurs niveaux, l’enseignement est plus personnalisé. Cela correspond également à un besoin chez les élèves, note Joseph. « La façon dont ils apprennent est différente, ils ont besoin de plus d’interactions. »
Plusieurs évoquent le fait que ce sont des enfants « très physiques », qui ont besoin de bouger et qui ont de la difficulté à rester assis pour se concentrer, ce qui nécessite beaucoup d’adaptation et de flexibilité de la part des enseignants, qui doivent trouver l’équilibre entre bienveillance et discipline. Pour certains, l’adaptation a été facile. Pour d’autres, un peu moins. « Les premiers mois, c’était le chaos dans ma classe », avoue l’enseignante Helen McGall.

Si le lien avec les élèves est parfois long et difficile à créer pour les nouveaux enseignants, celui-ci devient rapidement très fort, comme en témoignent les nombreux échanges de câlins dans les corridors. « Je prends les élèves comme mes enfants, confie Bernard Gueu, professeur d’éducation physique. Au sud, ce n’est pas acceptable de faire une accolade, mais ici, ce n’est pas possible de ne pas le faire. »
Certains enseignants, comme Mamalou, vont même recevoir les enfants chez eux après l’école. « Ma porte est toujours ouverte », affirme-t-elle. Nul besoin de mentionner que celle du réfrigérateur l’est tout autant.
Diplomation
Malgré toutes les initiatives et les efforts déployés par la Commission scolaire Kativik, le personnel et les nombreux organismes qui travaillent avec les communautés pour garder les enfants à l’école, le taux de diplomation demeure très faible au Nunavik, se situant autour de 23 % selon les derniers chiffres officiels.
Toutefois, le problème n’est pas seulement que les élèves de 5e secondaire ne réussissent pas à obtenir leur diplôme, c’est plutôt qu’un grand nombre d’élèves abandonnent l’école avant d’y arriver. Le taux de décrochage est d’environ 80 %. « Nos élèves ont vécu plusieurs traumatismes et certains ont de la difficulté à rester à l’école, mais on fait tout ce qu’on peut pour les soutenir et les garder », soutient la directrice générale de la commission scolaire, Harriet Keleutak.

À l’école Sautjuit, à Kangirsuk, six ou sept nouveaux visages s’ajoutent chaque été au mur des diplômés. Mais cette année, on peut compter les finissants sur les doigts d’une main. « On a eu beaucoup d’abandons cette année, dit Winnie Grey, la directrice adjointe, en soupirant. Ça me désole, parce qu’on n’avait pratiquement plus d’abandons. On travaille tellement fort pour les garder à l’école ! »
Mais rien n’est définitif et elle garde l’espoir qu’ils reviennent l’an prochain. La vie dans un petit village lui permet même de faire de l’intervention directe. « Quand ils me voient à l’épicerie, ils se cachent, car ils savent que je vais leur dire que leur place est à l’école, dit-elle en éclatant de rire. Je leur dis tout le temps qu’ils doivent avoir du succès à l’école, parce que je vais prendre ma retraite un jour et que je veux qu’ils prennent ma place et celle des autres professeurs de l’école. »
Ce reportage a été réalisé en partie grâce au soutien financier de la Commission scolaire Kativik.