L’école au Nunavik: un système unique au Québec

Au Nunavik, territoire inuit au nord du 55e parallèle au Québec, les élèves apprennent dans un contexte différent de celui qui prévaut plus au sud. S’il y a de grands défis à relever dans les écoles — et dans les communautés —, il y a aussi de petits miracles chaque jour. Le Devoir vous propose une série de reportages sur ce système d’éducation unique.
Dans la classe de Maggie, les jeunes filles apprennent à coudre. En mathématiques, les exercices portent sur les distances séparant les différents villages du Nunavik. Dans la classe de Lise, les enfants parlent dans un mélange d’inuktitut, de français et d’anglais. Pendant la semaine culturelle, élèves et enseignants vont à la chasse au phoque et convient tout le village à un grand festin. L’école, au Nunavik, va bien au-delà des savoirs d’ordre scolaire…
Inuguiniq. En inuktitut, le mot « éducation » a une portée très large qui s’inscrit dans une perspective holistique. Il vise le développement de l’humain en lien avec son environnement et sa communauté.
Ainsi, apprendre à chasser et apprendre à reconnaître les différentes sortes de glace sont des savoirs tout aussi importants qu’apprendre à compter ou à lire pour plusieurs Nunavikois, terme recommandé par l’Office québécois de la langue française pour désigner les habitants du Nunavik, communément appelés les Nunavimmiut. « On vit différemment ici, explique Alaku Kulula, directrice adjointe des programmes d'enseignement en inuktitut pour la Commission scolaire Kativik. Dans notre environnement, il faut savoir reconnaître la neige pour aller sur le territoire, c’est une question de survie. »
À écouter
Balado | Au Nunavik, l’école comme espace sécuritaireCes savoirs traditionnels ne sont pas nécessairement enseignés à l’école, mais toute la vision de l’enseignement est teintée par l’inuguiniq. Cela explique également que certains jeunes préfèrent aller à la pêche ou à la chasse plutôt que de rester assis en classe et que leurs parents n’y voient pas nécessairement d’inconvénients.
« J’ai des élèves qui viennent très peu à l’école, mais qui sont de véritables machines de guerre sur le territoire, explique Victor Rochette-Coulombe, enseignant à Quaqtaq. Ils savent démonter un Ski-Doo de A à Z : ils ont des compétences incroyables en mécanique, en survie et en culture inuite. »
Certains utiliseront d’ailleurs ces compétences pour nourrir les villageois en remplissant le congélateur communautaire, fermant ainsi la boucle du principe d’inuguiniq, qui implique l’idée de redonner à la communauté.
Une institution coloniale
« Il serait réducteur de penser que les jeunes n’apprennent que sur le territoire, met toutefois en garde Yasmine Charara, directrice adjointe des services éducatifs en langues secondes à la Commission scolaire Kativik. Mais quoi qu’on en dise, l’école, c’est une institution coloniale [pour les Nunavikois], et c’est un méchant défi de la rendre pertinente pour la communauté. »
Traditionnellement, les connaissances se transmettaient oralement et les jeunes Inuits apprenaient dans un contexte de vie quotidienne. « D’abord, ils observaient, puis ils aidaient leurs parents et leurs frères et soeurs, ensuite ils pouvaient accomplir leurs tâches », résume Alaku, qui rappelle la vitesse à laquelle les Nunavikois ont dû s’adapter.

Dans les années 1950, le gouvernement fédéral a imposé la scolarisation en anglais aux enfants inuits. Pendant la décennie suivante, le Québec a à son tour construit des écoles, dans lesquelles on parlait inuktitut pendant les premières années puis français pour le reste du parcours scolaire. En 1975, dans le cadre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, les Nunavikois ont obtenu le pouvoir de gérer leur propre système scolaire. Ainsi est née la Commission scolaire Kativik, qui a alors pris ces deux systèmes qui évoluaient en parallèle pour n’en faire qu’un seul.
Yasmine résume la situation en reprenant une phrase qui l’a marquée dans les dernières années : « La plus grande preuve de racisme systémique en éducation au Nunavik, c’est que la Convention de la Baie-James nous a permis d’avoir une commission scolaire, mais que personne n’a pris la peine de nous expliquer c’est quoi, une commission scolaire. »
Des écoles trilingues
Aujourd’hui, la commission scolaire gère 18 écoles dans 14 villages accessibles uniquement par avion. Seulement quatre villages sont suffisamment populeux pour avoir une école primaire et une école secondaire. Les autres n’ont qu’une seule école, qui accueille les élèves de la maternelle à la 5e secondaire.
À lire aussi
De la maternelle à la deuxième année, les apprentissages se font uniquement en inuktitut. Ce sont généralement des professeurs inuits qui enseignent à ces niveaux. En troisième année, les enfants font la transition vers la langue seconde, qui peut être soit le français soit l’anglais, au choix des parents. Selon Kativik, environ la moitié des élèves poursuivent leurs études en français langue seconde, et l’autre moitié, en anglais, mais la proportion varie d’une communauté à l’autre. À partir de la 4e année, et pour tout le reste du parcours scolaire, tous les apprentissages ne se font que dans cette langue seconde. L’inuktitut est encore enseigné, mais uniquement comme matière, à raison de périodes de 45 minutes.
Bien que la Commission scolaire Kativik ne soit pas régie par la Loi sur l’instruction publique, elle garde des liens directs avec le ministère de l’Éducation, qui approuve les programmes et fixe — après négociation — le budget de fonctionnement.
Mais les Nunavikois ne se sentent pas toujours entendus dans leur spécificité ni aidés à la hauteur de leurs besoins, notamment sur le plan du matériel pédagogique.
Du matériel désuet
Pour la formation des plus jeunes en inuktitut, les cahiers d’apprentissage sont créés sur mesure par une petite équipe de conseillers pédagogiques de la commission scolaire. Pour les plus vieux, puisque le curriculum ressemble davantage à ce qui se fait dans le reste des écoles du Québec, on utilise généralement le matériel disponible dans le sud.
« Le matériel n’est vraiment pas adapté, surtout sur le plan de la littérature, explique Lise Deschênes, qui enseigne aux jeunes de 4e, 5e et 6e années en français langue seconde. Mes élèves commencent à apprendre le français quand même tard, alors ils sont vraiment des débutants quand ils arrivent dans ma classe. Mais quand ils regardent ce qui se fait comme littérature pour leur niveau, ça s’adresse à des enfants de maternelle. Ça ne les intéresse pas du tout. En plus, ce n’est pas adapté à leur culture, alors ça ne fonctionne pas du tout ! »

L’enseignante, qui est établie à Kangirsuk depuis sept ans, a décidé de prendre les choses en main. L’an dernier, elle a commencé à écrire des histoires adaptées au niveau de ses élèves, en utilisant des phrases simples et le vocabulaire thématique vu en classe. La réponse des élèves a été telle qu’elle a décidé d’en faire un livre. Une de ses étudiantes, dont elle ne cesse de vanter les mérites, a fait les illustrations. Le livre devrait être publié sous peu et viendra enrichir la banque de matériel disponible pour les enseignants de la Commission scolaire Kativik.
En mathématiques, au niveau secondaire, les cahiers d’exercices sont adaptés afin que les concepts étudiés aient davantage de sens pour les jeunes Inuits. « Il s’agit de matériel développé au fil des ans par les conseillers pédagogiques qui est rendu disponible aux enseignants, mais l’édition de ce matériel est limitée, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous et il n’y a pas d’outils en ligne complémentaires » , soupire Yasmine.
Dans les autres centres de services scolaires du Québec, on prend le programme élaboré par le ministère de l’Éducation et le matériel pédagogique créé par des maisons d’édition spécialisées. Mais au nord du 55e parallèle, rien de tout cela ne s’applique. « On est à la fois une commission scolaire, un ministère et une maison d’édition », résume-t-elle.
Dans son rapport sur les services d’éducation au Nunavik, en 2018, le Protecteur du citoyen indiquait que « le ministère adopte une vision restrictive de son rôle et que cette position l’amène à ne pas exercer les responsabilités d’approbation, de soutien et d’accompagnement qui lui incombent ».
L’école « au coeur » du village
Depuis plus de 40 ans, la Commission scolaire Kativik tente de naviguer entre les exigences de Québec et les besoins uniques de la population locale. « Sans le soutien de la communauté, on n’y arrive pas », indique Alec Kudluk, directeur de centre de l’école Sautjuit, qui travaille fort pour faire le lien entre l’école et les habitants de Kangirsuk.
Tous les parents à qui Le Devoir a pu parler ont souligné l’importance de l’école, qui est « au coeur » du village. Plusieurs nourrissent l’espoir que la réussite des jeunes mène à une amélioration des conditions socioéconomiques de leur communauté.
Mais si la majorité des parents voient la nécessité pour les jeunes de développer leur plein potentiel sur le plan éducatif, certains sont encore un peu réticents, confient des membres du personnel scolaire.
« Ça a été difficile de gagner la confiance des parents, parce que les pensionnats ont essayé de nous enlever notre langue et notre culture, résume Winnie Grey, directrice adjointe de l’école Sautjuit, située à Kangirsuk. L’école a longtemps été perçue comme l’ennemi public numéro 1, c’est donc encore difficile parfois de convaincre certaines personnes que l’école Sautjuit, c’est notre école, l’école de la communauté. »
Le Nunavik en chiffres
Superficie : 443 685 km²
14 villages
Population : 13 188 habitants, dont 28 % ont moins de 30 ans.
(Source : Rapport Le Nunavik en chiffres 2020)
La Commission scolaire Kativik en chiffres
18 écoles dans 14 villages
6 centres d’éducation des adultes et de formation professionnelle
3415 élèves au secteur régulier (de la maternelle à la 5e secondaire)
440 étudiants aux secteurs adultes et formation professionnelle
Au 30 septembre 2022, il y avait un total de 113 élèves inscrits en 5e secondaire.
(Source : Commission scolaire Kativik)
Ce reportage a été réalisé en partie grâce au soutien financier de la Commission scolaire Kativik.
Une version précédente de ce texte, qui indiquait qu'Alaku Kulula est conseillère pédagogique à la Commission scolaire Kativik, a été modifiée. Elle est plutôt directrice adjointe des programmes d'enseignement en inuktitut pour la Commission scolaire Kativik.