La francisation à l’école, ça marche

Ils ne parlaient pas un mot de français à la rentrée scolaire de l’automne dernier. Neuf mois plus tard, des centaines de jeunes de 12 à 19 ans, venus de partout dans le monde, sont capables de raconter des morceaux de leur vie devant 400 personnes — et dans la langue officielle du Québec.
Ce n’est pas de la magie, mais presque. Cet exploit — enseigner le Québec et sa langue en un temps record —, on le doit au personnel scolaire et aux enseignants de classes d’accueil du réseau public d’éducation. Ils savent comment s’y prendre pour accueillir ces jeunes en quête d’une vie meilleure. La francisation en milieu scolaire, ça marche.
Mercredi soir, dans l’amphithéâtre bondé de l’école secondaire Antoine-Brossard, sur la Rive-Sud, des élèves arrivés d’Afghanistan, du Bangladesh, de la Colombie, du Pérou, de l’Iran et d’ailleurs ont donné un aperçu de leurs talents. De leur détermination. Et de leur gratitude. En français.
« En arrivant ici, je me sentais comme un astronaute qui débarque sur une autre planète », a lancé Guillermo, arrivé du Venezuela. Il a dû s’habituer à tout : la météo, la langue, la nourriture.
« Je suis tombé en amour avec cette planète qui s’appelle Canada », a-t-il ajouté dans un français où chante l’accent espagnol.
Des témoignages comme celui-là, les 400 personnes présentes dans la salle en ont entendu durant près d’une heure. Toujours dans la seule langue officielle du Québec. Les parents, les élèves et les enseignants applaudissaient très fort. Et des larmes (de joie) coulaient.
Suhayla, de l’école secondaire Saint-Edmond, venue d’Afghanistan en décembre 2020 : « Je suis en liberté et j’adore ça. »
Pawarna, elle aussi d’Afghanistan : « Les femmes ne servent pas seulement à laver les vêtements, à faire la vaisselle ou à s’occuper de la maison et des enfants. »
Aysem, âgé de « neuf ans et 364 jours », a parlé de la Tunisie, son pays natal : « Je m’ennuie des cinq poissons de mon ami Ayeb et du poussin de son frère Youssef. »
Mojgan, de l’école secondaire Saint-Jean-Baptiste, arrivée d’Iran : « Je vous souhaite un monde plein de paix, de gentillesse et surtout de pas de danse. »
Un succès organisé
Les jeunes ayant témoigné lors de cette soirée de gala fréquentent des classes d’accueil du Centre de services scolaire Marie-Victorin (CSSMV), qui englobe le territoire de Longueuil. Le centre de services a mis au point une méthode originale pour intégrer chaque année des centaines d’élèves venus d’ailleurs : un projet appelé Voix migrantes permet aux jeunes de se raconter (en français) par le biais de balados, de films, de livres numériques, de photos et d’une série d’autres moyens.
Tout au long de l’année scolaire, les jeunes partent à la découverte du Québec — et d’eux-mêmes — par des ateliers d’écriture, des sorties en plein air ou au musée, à la cabane à sucre, en ski de fond… Les autrices Kim Thúy et Caroline Dawson, nées au Vietnam et au Chili, sont venues leur parler de la joie de se raconter. Les élèves déposent chaque jour leurs confidences dans un joli journal de bord.
Mercredi, ils ont exposé leurs photos, leurs balados, leurs films et leurs récits de vie dans le hall de l’école Antoine-Brossard.
« On les voit éclore », résume Marie-Hélène Mathieu, une des deux médiatrices interculturelles à l’origine du projet. Une élève afghane parvenait tout au plus à écrire deux mots de français en septembre dernier. Elle est venue raconter son parcours devant une salle comble mercredi.
« Les enseignants ont embarqué corps et âme dans ce projet », renchérit Marie-Michèle Filion, l’autre cheffe d’orchestre de Voix migrantes.
Comité de bienvenue
Comme tous les centres de services scolaires de la région de Montréal, le CSSMV a accueilli une vague de nouveaux arrivants au cours des derniers mois. Quelque 2360 élèves supplémentaires sont arrivés dans les écoles publiques de Longueuil depuis le mois de septembre. C’est presque 1000 de plus que l’année dernière. Les enfants qui sont à l’aise en français fréquentent des classes ordinaires, mais 120 classes d’accueil sont réservées à ceux qui apprennent la langue.
Les médiatrices interculturelles, appuyées par cinq orthopédagogues, rencontrent chaque famille d’élève nouvellement arrivée sur le territoire pour l’aider à s’installer. Elles orientent ces familles vers des services d’aide (en matière de logement, de services sociaux ou autres). Certains enfants ne sont pas allés à l’école depuis des années, à cause de la guerre.
Kelly Martinez, arrivée du Brésil en septembre dernier avec son fils de 13 ans, n’en revient pas de l’accueil des Québécois. « Le système d’éducation est très bon. C’est gratuit. Et on est en sécurité ici », raconte la mère de 36 ans dans un français hésitant, mais tout à fait compréhensible.
Elle compte trouver du travail dans les technologies de l’information dès qu’elle aura réussi ses cours de français. Son garçon, Gustavo, est aussi enchanté par sa nouvelle vie. Il s’est fait des amis. Il joue au soccer et fait de la natation.
Courage et résilience
« Ce sont des élèves exceptionnels. Chaque année, je suis impressionnée par leur courage et leur résilience », dit Roxanne Dubé-Rémillard, titulaire d’une classe d’accueil de 17 élèves de l’école secondaire Saint-Jean-Baptiste.
En neuf mois, ils sont passés du niveau « débutant » au niveau « avancé » en français. Le programme Voix migrantes fonctionne à merveille, explique l’enseignante de 34 ans : les ateliers d’écriture invitent les élèves à réfléchir à leur parcours de vie. Ils s’inspirent par exemple d’une odeur ou d’une couleur glanées dans leurs sorties culturelles pour faire surgir des souvenirs. Et les raconter en français.
« Ils prennent du recul par rapport à des événements désagréables. Ça dédramatise le drame », souligne Nabila Kebaili, enseignante en francisation à l’école secondaire Jacques-Rousseau.
Elle comprend le choc culturel vécu par ses élèves. Elle l’a vécu elle-même en débarquant d’Algérie à l’âge de 23 ans, en 2008. Les premiers temps au Québec ont été difficiles même si elle parlait français. Nabila est maintenant ici chez elle. La prof n’a qu’un souhait : que ses élèves s’épanouissent à leur tour dans leur pays d’accueil. En français, bien sûr.