Les universitaires canadiens manifestent pour un «salaire décent»

Des milliers d’étudiants universitaires, de stagiaires postdoctoraux et de chercheurs sont descendus dans les rues lundi pour réclamer du gouvernement fédéral une augmentation de la valeur des bourses et des subventions afin d’offrir à la relève en recherche un « salaire décent ».
Ces manifestations se sont déroulées dans toutes les grandes villes universitaires du pays.
« Ça fait 20 ans que les montants des bourses et des subventions des trois conseils subventionnaires fédéraux — Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Conseil de recherches en sciences humaines et les Instituts de recherche en santé du Canada — n’ont pas été augmentés, ce qui fait en sorte que les étudiants des cycles supérieurs et les postdoctorants vivent sous le seuil de la pauvreté », a expliqué Samy-Jane Tremblay, présidente de l’Union étudiante du Québec et coorganisatrice de cette manifestation nationale.
« Si l’on se fie à l’inflation depuis 2003, il faudrait procéder à une augmentation d’au moins 50 % pour leur permettre d’avoir un salaire décent, indique-t-elle. Par manque de financement, certains étudiants et certaines étudiantes vont abandonner leurs études, d’autres vont se réorienter vers autre chose, d’autres encore vont décider d’aller poursuivre leurs recherches ailleurs, car dans des pays comme les États-Unis et des pays européens, le financement est pas mal plus élevé et attirant qu’au Canada. »
À Montréal, la manifestation s’est ébranlée vers 18 h 30, avec un cortège d’au moins 200 étudiants diplômés et professeurs des universités de Montréal, McGill et Concordia, de l’UQAM, de l’UQAR ainsi que de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
Fanny, étudiante française en troisième année de doctorat à l’INRS, a dû changer d’appartement par manque de ressources financières. En plus des 40 à 60 heures par semaine qu’elle consacre à sa recherche, elle est obligée de travailler pour subvenir à ses besoins. « J’ai dû prendre un job dans la restauration les jeudis, les vendredis et le week-end pour survivre », dit-elle.
Mais un tel emploi du temps « mène à l’épuisement et à un futur échec scolaire, car il faut publier beaucoup pour réussir en recherche », ajoute Adeline, doctorante à l’INRS.
« On attend de nous que nous travaillions entre 40 et 50 heures par semaine et souvent les week-ends. Nous sommes payés sous le seuil de la précarité, et [avec cette bourse famélique], il nous faut payer nos frais de scolarité. Cela met en péril notre santé psychologique et même physique », fait remarquer Mathilde, présidente de la Fédération étudiante de l’INRS.

Marie, étudiante à la maîtrise à l’UQAR, cumule trois emplois différents et travaille à raison de 35 heures par semaine, en plus des 40 heures qu’elle consacre à la rédaction de son mémoire. « Même si les loyers sont moins chers à Rimouski, on a besoin d’une voiture. Or, avec les frais d’essence et d’assurance, ça revient aussi cher qu’à Montréal », dit-elle.
Robin, doctorant à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC), dénonce de son côté la situation de précarité dans laquelle se trouvent les étudiants diplômés, dont le salaire est souvent à peine plus de 20 000 $ par an.
« On a un gros désavantage par rapport à ceux qui sont sur le marché du travail, parce que, par exemple, on ne cotise pas pour la retraite. Quand on finira notre doctorat, on aura presque 30 ans et on n’aura pas encore commencé à cotiser pour notre futur », ajoute Régina, également doctorante à l’IRIC.
Trang Hoang, professeure à l’IRIC, rappelle d’ailleurs que ce sont les étudiants qui font la recherche dans les laboratoires. « C’est l’avenir de notre société qui est en jeu », dit-elle.
Un peu plus tôt, à Ottawa, entre 150 et 200 manifestants avaient rejoint le parlement, où des étudiants, le sénateur Stan Kutcher, ainsi que les députés Maxime Blanchette-Joncas, du Bloc québécois, et Richard Cannings, du Nouveau Parti démocratique, ont pris la parole.
« Il y a 20 ans, le salaire minimum était 7,30 $ l’heure au Québec. Aujourd’hui, 1er mai 2023, il a été augmenté à 15,25 $. Or, en 2023, les étudiants en recherche qui travaillent à temps plein reçoivent beaucoup moins que le salaire minimum », a fait remarquer Samy-Jane Tremblay.
« Toute la société sera pénalisée »
Porte-parole du Bloc québécois en matière d’innovation et de sciences, M. Blanchette-Joncas soulignait en entrevue au Devoir que le Canada est le seul pays du G7 à avoir diminué en pourcentage de son PIB ses investissements en recherche au cours des 20 dernières années, alors qu’en 2022, les États-Unis se sont engagés à doubler leur programme de financement de la recherche d’ici cinq ans.
« Comme nos compétiteurs investissent plus, nous, au Canada, on recule en maintenant le statu quo. Chaque jour, chaque semaine, chaque année qui passe fait en sorte que ce sera de plus en plus difficile à rattraper, car l’écart se creuse. Les talents de chez nous iront ailleurs et ne reviendront pas transmettre leurs connaissances. Toute la société sera pénalisée », fait-il remarquer.
M. Blanchette-Joncas a déposé une motion au Comité permanent de la science et de la recherche à la Chambre des communes sur la question du gel des bourses d’études supérieures depuis 2003 et de ses répercussions sur la population étudiante.
C’est le mouvement Soutenez notre science qui a organisé cette manifestation nationale ayant mobilisé des membres de la communauté de la recherche d’un océan à l’autre. Il a notamment livré l’an dernier une pétition signée par 7000 chercheurs et étudiants au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, et au premier ministre Justin Trudeau.
Mauvaise cible
« On avait eu de bons sons de cloche nous indiquant qu’on avait été entendus, qu’ils comprenaient l’aberration. On avait bon espoir que dans le budget 2023 figurerait un ajustement des bourses d’excellence, mais il n’y a rien eu. Ce qui est incompréhensible, c’est que ces ajustements ne requièrent pas des sommes faramineuses par rapport aux gros programmes de subventions de recherche, comme le programme Apogée qui a été annoncé vendredi dernier », affirme Louis Bernatchez, professeur à l’Université Laval, qui est à l’origine de Soutenez notre science.
« Les grands programmes comme Apogée ciblent des spécialités dans des universités ; ils ne subventionnent qu’une minorité des équipes de recherche. Avec ces mégaprogrammes, on laisse à l’abandon les programmes plus traditionnels, qui rejoignent beaucoup plus de chercheurs, qui assurent la continuité des recherches déjà en marche et qui maintiennent une certaine stabilité dans les laboratoires. Ces programmes Apogée viennent phagocyter des fonds qui devraient aller pour la continuité. Il faut maintenir le bon équilibre entre les deux types », précise-t-il.
Le dernier budget d’Ottawa a ainsi beaucoup déçu les étudiants, souligne Samy-Jane Tremblay. « Dans le budget fédéral, il n’y a qu’un encadré sur la recherche qui fait mention des investissements qui ont été faits par le gouvernement dans les dernières années, mais on se rend compte qu’il n’y a aucun investissement qui a été fait directement pour la relève scientifique. On mentionne très brièvement le rapport Bouchard, qui dit clairement qu’il faut investir de manière significative et massive dans le financement de la recherche. »