Comment l’UQAM pourrait-elle contribuer à la revitalisation du Quartier latin?

Comment l’Université du Québec à Montréal (UQAM), une institution francophone à la réputation d’être engagée, peut-elle contribuer à redonner ses lettres de noblesse au Quartier latin ? L’enjeu, très médiatisé, suscite des préoccupations et a été propulsé dans la course au rectorat de l’établissement, qui a, depuis sa fondation, en 1969, pignon sur rue dans le quartier.
« Ce qui m’apparaît le plus mobilisateur dans cette course, c’est de mettre en place un projet fort, un carrefour du savoir », lance François Audet. Le professeur titulaire au Département de management de l’École des sciences de la gestion (ESG), qui a travaillé plusieurs années en action humanitaire, en a fait un enjeu central.
Les étudiants de l’UQAM, mais aussi ceux du cégep du Vieux Montréal, ainsi que bon nombre de travailleurs et de passants, ont déserté le quartier lors de la pandémie. Sa trame s’en est trouvée perturbée et des dynamiques, déjà présentes, se sont exacerbées : des commerces, parfois iconiques, ont fermé leurs portes, et l’itinérance et les vendeurs de drogue sont plus visibles.
Avec ce « carrefour du savoir », celui qui aspire à être recteur vise à ce que l’UQAM soit partie prenante d’une revitalisation du secteur, sans se cantonner à un rôle d’observation. Mais il ne pense pas ici à des projets d’infrastructures.
« Nous pourrions par exemple mobiliser l’École de travail social pour que tous nos experts puissent soutenir la population itinérante, dit-il. L’École du design ou l’Institut du patrimoine pourraient aussi aider à repenser ces espaces et travailler avec les autres acteurs, comme la Ville de Montréal ou le Partenariat du Quartier des spectacles. » Il rêve également de laboratoires et de « cliniques d’intervention sociale actives », ainsi que d’espaces de colloques permanents et gratuits qui serviraient à la vulgarisation de la recherche fondamentale.
Au fil des années, nous avons perdu cet ancrage dans la collectivité et la francophonie
Après l’échec l’automne dernier de la désignation d’un successeur à la rectrice Magda Fusaro, le processus a été relancé en janvier. Trois candidatures ont été retenues par le comité de sélection. La consultation auprès des professeurs, des chargés de cours, des étudiants et des cadres a débuté jeudi, et une décision sera communiquée le 31 mars.
Stéphane Pallage, qui a été doyen de l’ESG de 2013 à 2017 et recteur de l’Université du Luxembourg jusqu’à l’année dernière, en est à sa deuxième tentative. Sa candidature a été rejetée par le comité de sélection l’automne dernier, sans qu’on lui ait expliqué pourquoi. « Je suis, d’une certaine façon, prêt à l’emploi », assure-t-il.
Il croit lui aussi que l’établissement doit « agir en moteur de la revitalisation du Quartier latin ». « On sent qu’il s’est un peu terni, dit-il. Il faut l’aider à retrouver cette aura qu’il avait à Montréal et à l’international. »
Il propose notamment la mise en place d’un comité d’experts qui ferait des recommandations à la Ville de Montréal. Il veut également mettre à contribution l’expertise des voisins de l’UQAM, l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et l’Institut national de la recherche scientifique. « On prend souvent des décisions politiques sans l’expertise des scientifiques et des chercheurs », déplore-t-il.
Baisse d’effectifs inquiétante
Des observateurs voient dans la perte de vitalité du Quartier latin le déclin du Montréal francophone. La baisse d’effectifs, constante depuis plusieurs années, soulève elle aussi des inquiétudes et a une incidence sur les finances.
« On recrée le déséquilibre francophone et anglophone, soutient Lisa Baillargeon, professeure titulaire en sciences comptables et seule femme de la course. J’ai l’impression de revivre l’histoire. » Et il ne faut pas que l’UQAM attende « de se faire interpeller à la table ». « Il faut être le lead », souligne-t-elle.
« Nous pourrions réfléchir à un centre mondial interfacultaire de recherche et d’intervention en matière d’itinérance, de santé mentale et de déracinement social, dit-elle. On pourrait avoir un institut de recherche de développement culturel et artistique. Ou un laboratoire qui met en valeur les avancées novatrices de notre faculté des sciences. »
Elle veut aussi que l’UQAM soit un acteur central pour « ramener le français ». « Une autre idée à explorer serait la création d’un centre québécois de francisation. Donc être une plaque tournante pour la francisation, la promotion de la langue et du patrimoine francophone », souligne-t-elle. Elle revendique également un statut spécial pour l’UQAM afin d’obtenir du financement supplémentaire.
De son côté, François Audet estime « crucial » le défi qu’impose la baisse des inscriptions. « Au fil des années, nous avons perdu cet ancrage dans la collectivité et la francophonie. Il faut que dans tous les cégeps et les écoles secondaires du Québec, nous soyons reconnus. » Il propose du même souffle la création d’un vice-rectorat aux relations internationales, qui assurerait un meilleur ancrage dans la francophonie internationale.
La baisse d’inscrits se reflète surtout du côté des étudiants québécois et de premier cycle, remarque Stéphane Pallage. « Nous avons besoin de convaincre les étudiants québécois que l’UQAM est une destination de choix et d’excellence, dans un quartier intéressant et vibrant d’énergie », lance-t-il. C’est par une « grande campagne d’amour » à l’égard de l’institution qu’il compte s’attaquer au problème.
Une candidature controversée
La candidature de Stéphane Pallage est vue d’un mauvais œil par une partie de la communauté uqamienne, qui se mobilise activement contre lui.
C’est que l’ancien doyen de l’ESG a menacé de tenir un processus de consultation en 2016 concernant la séparation de l’École du reste de l’université. Il était alors en tension ouverte avec la direction de l’établissement.
Des professeurs, dont le vote est crucial pour la victoire dans cette course, ont envoyé des lettres pour inciter le comité de sélection à ne pas retenir sa candidature. Selon nos informations, le sentiment est que ces événements ont semé la division et auraient pu mettre en péril la survie de l’UQAM.
À cela, le principal intéressé réplique être au contraire un rassembleur. « Je peux me battre pour ma communauté, avec beaucoup d’énergie », fait-il valoir.