L’Université Laval s’embourbe dans la grève

Cul-de-sac au campus. Après bientôt quatre semaines de débrayage, l’impasse demeure entière à l’Université Laval, où patronat et syndicat ne donnent aucun signe de vouloir démanteler les barricades.
Dernier revirement en date : la direction de l’établissement d’enseignement supérieur accuse le syndicat des professeures et des professeurs de l’Université Laval (SPUL) d’avoir rejeté sans ménagement, en seulement quatre heures, l’hypothèse de règlement soumise mercredi par le conciliateur demandé par l’Université Laval.
« Tout porte à croire que l’exécutif du SPUL n’a pas réfléchi de son côté et ne veut pas faire son bout de chemin pour trouver des solutions. Cela nous désole grandement, écrivait le vice-recteur exécutif, André Darveau, dans un communiqué diffusé jeudi matin. Nous espérerions que le SPUL prenne au moins le temps d’analyser l’hypothèse avancée par le conciliateur. »
Le président du SPUL, Louis-Philippe Lampron, dénonce « de la petite stratégie » visant à taxer d’intransigeance les syndiqués.
« Le conciliateur demandé par l’Université a soumis une hypothèse de règlement, nous avons présenté une contre-proposition et depuis, c’est silence radio. Nous pensions passer la nuit à négocier pour trouver une voie de passage, mais non : je me suis fait ghoster, constate le président du SPUL, et je me réveille, jeudi matin, en apprenant que la partie patronale nous accuse d’avoir tout rejeté en bloc ! »
Plus tard en journée, jeudi, l’Université Laval a précisé la position du conciliateur. Son hypothèse n’ouvrait pas la voie à une éventuelle négociation : elle coupait court, au contraire, à toutes nouvelles discussions.
« Le conciliateur a donné la directive suivante aux parties, a indiqué par courriel la directrice adjointe aux relations publiques, Andrée-Anne Stewart. Les parties doivent considérer la présente hypothèse de règlement comme un tout indissociable. […] Les parties doivent donc l’accepter ou la refuser dans son ensemble. Advenant que l’une des parties la refuse, elle est considérée comme n’ayant jamais existé. »
Chaque camp souligne avoir fait d’importantes concessions depuis le déclenchement de la grève. Trois enjeux demeurent au coeur du litige : un rattrapage salarial jugé « nécessaire » par le syndicat, l’embauche de 100 nouveaux professeurs pour alléger la tâche de travail de plus en plus lourde du corps professoral et la protection de la liberté d’enseignement, au moment où l’Université tente, aux dires de la partie syndicale, de « pérenniser des concessions faites pendant la pandémie pour traverser la crise ».
« L’Université Laval se hisse au 6e rang sur le palmarès des meilleures universités de recherches du Canada, explique Louis-Philippe Lampron. Au même moment, elle n’est même pas en queue de peloton en termes de salaire : elle n’apparaît tout simplement pas sur le classement ! »
Pourtant, insiste le syndicat, l’Université Laval engrange d’importants surplus. « Selon les états financiers, ça représente 257 millions de dollars entre 2018 et 2022. Qu’est-ce que l’Université a fait avec ces surplus-là ? Est-ce que la direction privilégie le béton au détriment des professeurs et des professeures ? »
Lors d’un point de presse tenu au déclenchement de la grève générale illimitée, le 13 mars dernier, André Darveau avait expliqué que les sommes avancées par le syndicat relevaient d’un calcul erroné. « Ils ont regardé, à la fin de l’année, les surplus qui étaient identifiés dans les états financiers. Ils ont fait la somme comme si cet argent-là s’était accumulé au fil des ans. C’est complètement faux : nous n’avons pas accumulé cet argent-là : on l’a dépensé », avait indiqué le vice-recteur exécutif.
Pendant que le torchon brûle entre les deux parties, la population étudiante voit la session perturbée, voire compromise au fur et à mesure que le conflit perdure.
« C’est désolant que ce soient les étudiants et les étudiantes qui paient pour ce conflit-là, déplore Vickie Bourque, présidente sortante de la CADEUL, une confédération qui revendique plus de 34 000 membres du premier cycle. Une grève, c’est là pour déranger. Par contre, ce sont les étudiants et les étudiantes que ça dérange présentement. Il faut se rappeler que si nous sommes à l’université, c’est pour préparer notre futur. »
La CADEUL préfère rester neutre dans le conflit, contrairement à l’AeLIES, l’association qui représente la communauté étudiante du deuxième et troisième cycle. Lors d’une assemblée extraordinaire tenue la semaine dernière, une majorité des 205 membres présents ont voté pour appuyer la grève et les revendications du corps professoral.
Ce dernier a déclenché, à la forte majorité, une grève générale illimitée le 13 mars dernier. « Nous ne pouvons pas accepter l’inacceptable, et ça, l’Université le sait, conclut Louis-Philippe Lampron. Nous avons déposé notre cahier des charges en février 2022 pour nous donner le temps de discuter et éviter la situation que nous vivons présentement. Le feu brûle, il faut être capable de trouver une solution. Nous attendons maintenant que la rectrice s’implique dans les négociations pour régler ce conflit-là. »