L’Université Laurentienne aurait pu solliciter l’aide du gouvernement

L’Université Laurentienne aurait pu travailler avec le gouvernement ontarien et ses syndicats pour régler ses problèmes financiers au lieu d’avoir recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), selon la vérificatrice générale de l’Ontario. Bonnie Lysyk a fait cette évaluation dans le cadre d’un rapport commandé par des députés ontariens où elle juge l’usage de la LACC « stratégique » et « planifié ».
L’Université Laurentienne s’est tournée vers la LACC le 1er février 2021. L’établissement faisait alors face à d’importants problèmes financiers, avec une dette atteignant plus de 87 millions de dollars. En ayant recours à une loi habituellement réservée aux entreprises privées, l’Université a pu éliminer 69 programmes ; 29 d’entre eux étaient francophones. En avril 2021, la Commissaire aux services en français de l’Ontario, Kelly Burke, a d’ailleurs déterminé que l’Université avait violé la Loi sur les services en français de la province en éliminant certains de ces programmes francophones.
Le rapport final de la vérificatrice générale se faisait attendre depuis plusieurs mois. Le 13 avril, soit environ deux semaines avant que le parlement ontarien soit dissous en vue des élections provinciales, le bureau de Bonnie Lysyk a publié un rapport préliminaire dans lequel elle arrivait à des conclusions similaires. Le document publié aujourd’hui est toutefois plus étoffé et détaille le raisonnement de la vérificatrice générale. Le Comité permanent des comptes publics avait demandé l’audit des opérations de l’établissement le 28 avril 2021.
D’après la vérificatrice générale, le fait d’avoir recours à la LACC germait depuis plus d’un an avant que l’Université y fasse appel officiellement. Un conseiller juridique externe a présenté l’idée à l’établissement au milieu de l’année 2019. En mars 2020, l’Université a engagé de nouveau des avocats pour l’aider à résoudre ses problèmes financiers. À ces deux occasions, « l’accent était toutefois toujours mis sur le dépôt d’une demande de protection en vertu de la LACC ».
Au mois d’août 2020, la Laurentienne a informé directement le ministère des Collèges et Universités qu’elle pensait avoir recours à la LACC. Le ministère lui aurait alors proposé un examen financier par un tiers parti pour explorer les voies à suivre pour se sortir du pétrin. L’Université a suggéré que la firme comptable EY réalise l’examen, mais l’entreprise, qui est éventuellement devenue contrôleur dans le cadre des procédures de la LACC, s’est désistée. « Ni le ministère ni la Laurentienne n’ont proposé un autre conseiller financier pour remplir ce rôle », lit-on dans le rapport de la vérificatrice générale.
Des lois contournées
Dans les deux années qui ont précédé le recours à la LACC, l’Université Laurentienne ou son personnel auraient contourné ou enfreint des lois provinciales. L’établissement postsecondaire n’a déposé aucun enregistrement de lobbyisme depuis 2010, même si entre 2020 et 2021, un « certain nombre d’employés » ont rencontré des membres du personnel des ministères dans le but d’influencer le processus décisionnel du gouvernement ou d’obtenir un soutien financier. La vérificatrice générale laisse entendre que cela contrevient à la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes.
La Laurentienne a aussi « enfreint la loi provinciale sur les restrictions salariales visant les employés du secteur parapublic, indemnisant les cadres supérieurs de 389 000 $ de plus que ce que la loi permettait », a aussi écrit Bonnie Lysyk dans son rapport de plus de 100 pages. De surcroît, le recrutement de cadres supérieurs manquait d’équité ou de justifications démontrables, selon le rapport. La création de certains postes de cadre n’était pas clairement justifiée et le soutien à la sélection des candidats retenus était « insuffisant ».
Lutte pour la transparence
Le bureau de Bonnie Lysyk a dû se battre bec et ongles pour accomplir son travail au cours des deux dernières années. La vérificatrice générale cherchait à obtenir certains documents confidentiels pour accomplir son audit, mais que la Laurentienne refusait de lui donner. Au mois de janvier, la Cour supérieure a tranché que l’établissement n’avait pas à remettre les documents puisque la Loi sur le vérificateur général ne permettait pas à la détentrice du poste d’accéder à de l’information protégée par le privilège avocat-client. Bonnie Lysyk a fait appel de la décision à la Cour d’appel mardi et attend maintenant sa décision.
Le processus de restructuration, qui a entraîné la suppression de 195 emplois et a affecté 932 étudiants, a pratiquement pris fin il y a deux mois. Les créanciers de l’établissement ont voté en faveur d’un plan d’arrangements qui a par la suite été reconnu par la cour. La majorité des créanciers recevront de 14 à 24 % des indemnités qui leur étaient dues. Le contrôleur EY avait laissé entendre que l’Université pourrait fermer ses portes si les créanciers votaient contre le plan d’arrangements.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.