Une brève histoire des femmes de science au Québec

Miriane Demers-Lemay
Collaboration spéciale
De ces rares pionnières qui ont pavé la voie aux femmes scientifiques d'aujourd'hui, d'autres figures importantes se sont démarquées durant les dernières décennies, telles que Karen Messing, spécialiste de la santé des femmes au travail, Thérèse Gouin Décarie, précurseure de la recherche et de l'enseignement de la psychologie du développement au Québec, ou encore Bartha Maria Knoppers, juriste spécialisée notamment dans les aspects éthiques de la génétique, de la génomique et des biotechnologies.
Illustration: Romain Lasser De ces rares pionnières qui ont pavé la voie aux femmes scientifiques d'aujourd'hui, d'autres figures importantes se sont démarquées durant les dernières décennies, telles que Karen Messing, spécialiste de la santé des femmes au travail, Thérèse Gouin Décarie, précurseure de la recherche et de l'enseignement de la psychologie du développement au Québec, ou encore Bartha Maria Knoppers, juriste spécialisée notamment dans les aspects éthiques de la génétique, de la génomique et des biotechnologies.

Ce texte fait partie du cahier spécial 100 ans de l'Acfas

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et même la Révolution tranquille, la place des Franco-Canadiennes est assignée au foyer, bien loin du savoir sur les étoiles, la physique nucléaire ou le génie mécanique. Effacées dans les replis de l’Histoire, des religieuses enseignant les sciences et de rares pionnières ont toutefois aidé à ouvrir la voie aux femmes scientifiques d’aujourd’hui.

Un siècle avant la timide entrée des femmes dans les universités franco-canadiennes et leur acquisition du droit de vote, des femmes font déjà de la science au Québec. Dans les couvents, les religieuses et leurs protégées mènent des expériences sur l’énergie pneumatique, le magnétisme, l’électricité ou l’astronomie dès le début du XIXe siècle. Elles apprennent les propriétés des éléments chimiques, expliquent le mouvement apparent des étoiles ou encore, classent les plantes selon leur morphologie.

« Ce n’était pas connu dans les livres d’histoire. On a cette impression que les filles n’ont jamais fait de sciences, que c’était une chasse gardée des garçons », observe Mélanie Lafrance, qui termine un doctorat sur ce pan méconnu de l’histoire à l’Université Laval. La chercheuse a découvert une petite mine d’or d’informations dans les archives du monastère des Ursulines. Ses découvertes sont d’ailleurs mises en valeur dans l’exposition Religieuses, enseignantes et… scientifiques !, qui se tient actuellement au site historique Marguerite-Bourgeoys dans le Vieux-Montréal.

« Les sciences enseignées s’ancrent dans la religion et la théologie de la nature ; on s’émerveille de la création de Dieu, spécifie Mme Lafrance. C’est une époque où les sciences font partie de la culture générale. S’il y a des hommes qui font de la recherche, comme Léon Provancher, il n’y a pas encore de communauté scientifique. »

À l’époque, les religieuses éduquent leurs élèves sur des cours calqués sur les cours classiques, poursuit la chercheuse. « On est au début du XIXe siècle, il y a beaucoup d’immigration anglophone et on commence à avoir une concurrence dans le milieu [de l’enseignement] protestant, dit-elle. Peut-être pour garder un programme compétitif, les religieuses incluent les sciences dans leur enseignement. »

Restreints aux jeunes filles de familles aisées, ces cours de sciences avaient un niveau équivalent d’une première ou deuxième secondaire, note Mme Lafrance. À l’époque, les religieuses constituent une large part des femmes scientifiques canadiennes-françaises. Ce sont aussi elles qui créent les écoles qui permettront éventuellement aux femmes d’accéder à l’université. La congrégation de Notre-Dame ouvre le premier collège classique féminin en 1908. Sous les efforts de trois religieuses, un deuxième établissement d’enseignement supérieur pour jeunes filles ouvre ses portes à Sillery en 1925.

Pendant des décennies, seules de rares pionnières issues de milieux aisés et pourvues d’une volonté exceptionnelle surmontent la panoplie d’obstacles pour faire de la science au pays.

De rares pionnières

 

Au XIXe siècle, Christian Ramsay, l’épouse du comte de Dalhousie, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, collecte plusieurs espèces de plantes et présente des articles scientifiques. Elle travaille aussi avec d’autres botanistes, Lady Anne Mary Perceval et Harriet Sheppard. Parmi les rares scientifiques féminines de l’époque, plusieurs sont botanistes, et la plupart choisissent les sciences de la vie, comme la médecine ou la biologie.

« Toutes celles qui ont percé constituent entre 1 % et 3 % des femmes ; elles sont exceptionnelles, observe Francine Descarries, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Il n’y avait rien dans la société québécoise de l’époque pour permettre aux femmes de l’époque de faire de la science. »

De fait, les quelques scientifiques féminines de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle sont anglophones ou d’origine étrangère. Elles font leurs études à l’étranger, aux États-Unis, ou encore à l’Université McGill, qui admet les femmes dans la Faculté des arts dès 1884.

Au début du XXe siècle, la physicienne Harriet Brooks écrit sur la nature évanescente du radium. Carrie Derick, pionnière en génétique végétale, devient la première professeure d’université du pays. Elsie MacGill, de la Colombie-Britannique, travaille comme ingénieure aéronautique pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1974, la sociologue et économiste hongroise Livia Thür est la première femme à présider l’Acfas.

« La majorité francophone du Québec vit sous le joug de l’Église catholique, qui impose un discours relativement rigide quant à la place de la femme en société et à ses premiers devoirs d’épouse et de mère », écrivent Nadia Ghazzali et Mélanie Lanouette dans l’étude Les femmes en sciences et en génie à travers l’histoire au Québec, publiée en 2008 par la Chaire CRSNG-Industrielle Alliance pour les femmes en sciences et génie au Québec.

Les Canadiennes françaises investissent les sciences un peu plus tard que leurs compatriotes anglophones. En 1911, Marie Gérin-Lajoie constitue la première diplômée avec un baccalauréat en arts. En 1939, la botaniste Marcelle Gauvreau est la première Canadienne française à obtenir un diplôme en sciences naturelles. En tant que protégée du frère Marie-Victorin, elle contribue à rédiger Flore laurentienne et écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique.

Les Canadiennes françaises sont rares à réussir à faire de la science, et on connaît peu de choses sur elles. « Les femmes sont absentes de l’historiographie des sciences au Québec, contrairement au Canada anglais, où plusieurs travaux portent sur l’apport des femmes dans le domaine scientifique », poursuivent Nadia Ghazzali et Mélanie Lanouette dans leur rapport.

« Toutes les femmes ont été gommées de l’histoire, plus fortement dans les domaines où l’on a peu accepté leur présence », renchérit Francine Descarries sur la possible contribution des assistantes travaillant avec des chercheurs masculins, à l’instar de Marcelle Gauvreau.

Des archives comme celles des Ursulines pourraient-elles apporter de nouvelles lumières sur les scientifiques canadiennes-françaises ? L’historien des sciences Yves Gingras croit que si elles sont pratiquement absentes des archives, c’est qu’elles ne pouvaient effectivement pas faire de la science à l’époque. Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les femmes percent ce plafond de verre.

L’entrée à l’université, le tremplin pour les femmes

Pour contribuer à l’effort de guerre, les Québécoises investissent soudainement le marché du travail lors de la Seconde Guerre mondiale. Elles travaillent comme mécaniciennes, électriciennes ou soudeuses dans les usines, avant d’être invitées à réintégrer le foyer à la fin de la guerre. « Les comptables, les avocates, les médecins, on ne peut pas parler de femmes dans les professions avant les années 1940 », souligne Francine Descarries.

« Les femmes étaient sous l’autorité du mari jusqu’aux années 1960 », rappelle la sociologue, qui ajoute qu’à l’époque, les femmes n’avaient pas même le droit de signer un chèque. La Révolution tranquille accouche notamment de la première Loi sur le divorce en 1968, qui facilite le divorce, la contraception et l’avortement. « Une fois que les femmes ont eu le contrôle de leur corps, c’était évident que ça allait changer le monde », ajoute-t-elle.

« Les années 1960 sont donc les véritables années du changement pour les femmes : création du ministère de l’Éducation, création des cégeps, instauration de la gratuité au collégial, abolition des collèges classiques, des écoles normales et des écoles ménagères, création du réseau des universités du Québec, sont tout autant de facteurs qui contribuent à modifier substantiellement l’offre d’éducation », détaillent Nadia Ghazzali et Mélanie Lanouette dans leur étude.

Aujourd’hui, les femmes sont aussi nombreuses — et même souvent plus — que les hommes à obtenir un diplôme d’études supérieures en sciences, détaille Yves Gingras, chiffres à l’appui. Les femmes restent toutefois minoritaires dans certaines disciplines, comme le génie. Selon Francine Descarries, cette situation s’explique notamment par la persistance des modèles et des préjugés inconscients.

« Quand on donne des avions aux garçons et des poupées Barbie et des ustensiles aux filles, ça fait naître l’idée que les garçons peuvent construire, tandis que les filles doivent paraître. Et ça, c’est long à déconstruire », observe la sociologue.

« Les femmes ont tendance à se mettre des barrières elles-mêmes, il y a les difficultés pour concilier vie professionnelle et famille, ou encore, un manque de modèles, ajoute Mme Descarries. Lorsque les femmes croiront qu’elles ont toutes les capacités pour faire ce qu’elles veulent, on va atteindre l’égalité. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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