Apple veut être plus présent dans les classes du Québec

La stratégie vise à fidéliser les futurs consommateurs, selon des spécialistes.
À quelques semaines de la rentrée scolaire, Apple passe à l’offensive en demandant que le gouvernement du Québec change les critères de ses appels d’offres pour que plus de Mac et d’iPad se retrouvent dans les salles de classe. La stratégie vise à fidéliser les futurs consommateurs, selon des spécialistes.
Le géant américain a entamé des démarches auprès de Québec afin que le gouvernement modifie les appels d’offres relatifs aux ordinateurs portables et aux tablettes qu’on retrouve dans les écoles de la province. Le premier vendeur de tablettes de la planète veut que l’on considère davantage « l’expérience de l’utilisateur » qu’offre un appareil plutôt que son prix ou des caractéristiques comme son poids et sa taille.
Pour plaider sa cause auprès des ministères de l’Éducation ainsi que de la Cybersécurité et du Numérique, Apple a récemment embauché un lobbyiste, Jonathan Kalles, de la firme McMillan Vantage.
La multinationale espère aussi pouvoir rencontrer des représentants duSecrétariat du Conseil du trésor et du Centre d’acquisitions gouvernementales, organisme responsable des appels d’offres pour les instances gouvernementales.
Le représentant d’Apple dans ce dossier, M. Kalles, n’a pas rendu les appels du Devoir. Quant à lui, le ministère de l’Éducation n’a pas voulu confirmer s’il était bien en discussion avec Apple ni si des changements aux appels d’offres étaient envisagés.
Fidéliser les enfants
La démarche d’Apple ne surprend pas Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal spécialisé en marketing et en positionnement de produits. L’accès aux réseaux scolaires est un axe stratégique de taille pour les fabricants d’appareils électroniques : « Une fois qu’un consommateur, a fortiori un enfant, s’est habitué à un environnement complexe, l’effort pour en changer ainsi que le coût qui s’y rattache sont tels que ce consommateur va maintenir le statu quo. »
En économie, on appelle « barrière à la sortie » ces obstacles que rencontrent des usagers qui veulent quitter un écosystème comme une plateforme numérique ou un système d’exploitation au sein duquel ils évoluent. Une situation qui joue en faveur de l’entreprise qui se positionne en premier auprès de consommateurs potentiels.
M. Nantel explique : « C’est la même chose que ce que font les fabricants de lait maternisé qui en donnent aux mamans qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas allaiter. Le lait est donné à l’hôpital. Comme tout va habituellement bien, les parents ne prendront pas, une fois à la maison, le risque de changer de fournisseur. L’école, c’est la caution de sécurité, la doudou qui fait qu’enfants et parents vont adorer la marque Apple. »
Son de cloche similaire de la part de Bruno Guglielminetti, porte-parole de l’Académie de la transformation numérique (ATN) de l’Université Laval : « Quelle que soit la marque, les fabricants vont faire énormément de lobbying pour s’assurer d’accéder au marché éducatif, parce qu’une fois que ces jeunes vont avoir pris l’habitude de travailler avec un système ou un type d’appareils, il y a plus de chances qu’ils en deviennent des consommateurs. Malgré les bonnes intentions des fabricants en matière d’éducation, c’est avant tout une stratégie de développement de marché. »
Résultat : les logiciels libres, comme Linux, sont moins présents dans les réseaux scolaires que les grands systèmes d’exploitation comme Windows, de Microsoft, et le système OS, d’Apple.
Écoles certifiées
Dans les dernières années, Apple a créé un programme de certification pour les écoles dont les programmes éducatifs répondent à certains critères, comme le fait d’évoluer dans l’écosystème d’Apple. Présente dans 36 pays, cette certification a été décernée à 19 établissements au Canada, dont deux au Québec : le CFER (centre de formation en entreprise et récupération) de Bellechasse, et l’école secondaire privée Marcelle-Mallet, située à Lévis.
Le positionnement dans « le marché scolaire » est d’autant plus important que la présence de l’informatique et des technologies a considérablement augmenté dans les dernières années. Une étude de l’ATN publiée en juin 2021 révélait que la quasi-totalité des écoles disposent maintenant d’une connexion Internet dans toutes les classes.
En 2020, on comptait en moyenne, dans l’ensemble des écoles de la province, un appareil numérique disponible pour deux élèves. En outre, près de 95 % des écoles fournissaient du matériel informatique aux enseignants en 2020, contre 50 % en 2014.
« Et depuis, il y a eu la pandémie, qui a accéléré le virage numérique partout, dont dans les écoles », précise M. Guglielminetti.
Entamées au printemps, les démarches d’Apple auprès du gouvernement s’inscrivent dans une initiative plus vaste de positionnement dans le secteur public québécois. L’entreprise de Cupertino veut aussi « influencer les politiques gouvernementales en matière de technologies de l’information […] [afin] de faciliter l’adoption par les organismes publics des appareils et services fournis par Apple ». Le but déclaré : « accroître la possibilité pour les utilisateurs du secteur public d’acheter des produits et services Apple », comme les iPad et les MacBook.