L’Université Laurentienne refuse le transfert d’une revue francophone

L’Université Laurentienne a refusé le transfert de la revue scientifique Enfance en difficulté — l’une des deux seules revues scientifiques francophones qu’elle publie — à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Faute de financement institutionnel, il s’agissait de l’un des derniers recours à la disposition du rédacteur en chef Yvon Gauthier pour assurer la survie de son périodique, qui pourrait publier le dernier numéro de son histoire cette semaine.
En 2021, lorsque l’Université Laurentienne, à Sudbury, s’est placée à l’abri de ses créanciers, Yvon Gauthier a constaté que le budget d’environ 47 000 $ qui lui était réservé avait disparu. Celui-ci lui permettait de publier au moins neuf numéros de sa revue, la seule au Canada français qui s’intéresse au domaine dont elle porte le nom, dit-il. S’il gardait un très mince espoir de revoir cette somme en janvier, Yvon Gauthier se dit maintenant « sûr 100 % » qu’il ne recevra pas le montant.
À la recherche d’une solution pour assurer la survie de sa revue au cours des derniers mois, Yvon Gauthier s’est tourné vers l’UQTR, où une professeure, Nadia Rousseau, a accepté de la diriger. En entrevue, la professeure soutient que la direction de son université était ouverte à accueillir la revue. Mais d’après un courriel consulté par Le Devoir, la vice-rectrice aux études sortante de la Laurentienne, Marie Josée Berger, a personnellement informé Yvon Gauthier au mois de mai que l’établissement refusait le transfert. La décision aurait été prise « après maintes délibérations », écrit la vice-rectrice, sans offrir davantage de détails.
Le 21 juillet, dans le cadre de son plan d’arrangement — un document dans lequel l’établissement explique comment il projette de résoudre ses problèmes financiers —, la Laurentienne a toutefois révélé que la vice-rectrice Berger quitterait son poste. Yvon Gauthier a l’espoir que la personne qui la remplacera de façon intérimaire donnera le feu vert au transfert. « Vraisemblablement, les dirigeants par intérim vont probablement dire qu’ils ne pourront pas prendre une décision », avertit toutefois le professeur.
Plus de visibilité
La professeure Nadia Rousseau a parlé à Yvon Gauthier à plusieurs reprises au cours des derniers mois, elle qui est aussi responsable du prochain numéro de la revue. Elle estime pouvoir offrir une visibilité pancanadienne à la revue si elle la dirige en raison de son poste de directrice du Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite (RÉVERBÈRE), qui compte des partenaires dans différentes provinces.
« Certains experts nous disent qu’on pourrait publier en anglais, mais nos acteurs sur le terrain sont francophones », explique Nadia Rousseau, de l’UQTR. « L’idée, c’est que la revue survive grâce à des acteurs de la francophonie canadienne et pas simplement dans une perspective québécoise », soutient la professeure. Les auteurs qui publient dans Enfance en difficulté pourraient se tourner vers le périodique Éducation et francophonie, mais celui-ci n’a pas une portée aussi précise que la revue d’Yvon Gauthier.
Difficile d’être financé
Yvon Gauthier pige dans ses économies pour publier le numéro qui paraîtra cette semaine, n’ayant pas été en mesure d’obtenir les quelque 5000 $ nécessaires pour entre autres payer la mise en page, la révision linguistique et la correction. Lorsqu’on lui a demandé s’il était en mesure de continuer de publier à la Laurentienne à l’aide de subventions externes, le rédacteur en chef répond que la concurrence pour les obtenir est « féroce ».
D’autre part, juge-t-il, aucun organisme ne jettera un regard positif sur une demande de subvention provenant de l’Université tandis qu’elle fait face à d’importants défis financiers. Finalement, le professeur confie que son coeur n’est « plus à la même place » depuis que l’Université a « déchiré » l’entente confirmant sa retraite. Cette dernière, signée en novembre 2020, trois mois avant que l’Université entame ses procédures d’insolvabilité, indiquait qu’Yvon Gauthier aurait accès aux fonds qui lui avaient été accordés tant qu’il était rédacteur en chef.
L’intérêt pour Enfance en difficulté n’a pas dérougi malgré l’incertitude. Au moins une dizaine de chercheurs ont contacté Yvon Gauthier depuis janvier pour savoir s’ils pouvaient soumettre des articles. « J’ai refusé [les propositions] en leur disant que la revue pour l’instant ne publie pas et que son avenir est incertain », dit-il.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.
Précision: Une citation de Nadia Rousseau a été modifiée pour clarifier sa pensée. Elle souhaitait indiquer que certains experts disent que les membres du RÉVERBÈRE pourraient publier des articles en anglais, et non pas les membres eux-mêmes.