Éducation et informatique - Mise en réseau des écoles des régions excentriques
La rentrée scolaire 2002 s'effectuera sous un jour nouveau pour trois petites écoles rurales québécoises. Les élèves et les professeurs pourront maintenant travailler en réseau avec d'autres écoles, grâce à un système de large bande passante. Pendant l'année scolaire, une équipe de chercheurs étudiera le potentiel des technologies de l'information pour le développement des petites écoles rurales et épaulera les professeurs dans leurs projets. Parents, élèves, professeurs et chercheurs sont enthousiastes devant ce projet novateur qui ouvre plusieurs avenues à l'éducation dans les régions éloignées.
Avec la dénatalité qui touche l'ensemble de la province et l'exode des jeunes familles qui affecte plusieurs régions, les élèves se font de plus en plus rares dans bon nombre d'écoles rurales. Cette situation place de nombreuses commissions scolaires devant un choix difficile: maintenir les petites écoles rurales ouvertes malgré le manque de ressources ou fermer ces établissements scolaires et alors exiger des élèves des déplacements longs de plusieurs kilomètres pour qu'ils aient accès à une éducation de qualité. La problématique engendre de profonds déchirements dans les communautés concernées, qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir leurs petites écoles en vie.Mais une solution pourrait bientôt se présenter à elles pour sauver leurs petites écoles: l'utilisation des technologies de l'information et des communications (TIC) comme soutien à l'apprentissage des élèves. Pour examiner cette possibilité, le ministère de l'Éducation et le ministère des Régions, en collaboration avec le Centre francophone d'informatisation des organisations (CEFRIO), a mis sur pied le projet de recherche-action L'école éloignée en réseau. Dès septembre, trois petites écoles situées dans différentes régions du Québec vont intégrer les TIC dans leur pédagogie et vont explorer toutes les possibilités offertes par celles-ci.
Le CEFRIO, appuyé par deux chercheurs associés — Thérèse Laferrière, professeure à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval et Alain Breuleux, professeur au Département de psychopédagogie de l'Université McGill — observera et participera au développement du projet tout au long de l'année scolaire dans le but de préparer des conclusions et des recommandations sur l'utilisation des TIC dans les écoles éloignées. «Pour nous, c'est extrêmement important de s'assurer que les connaissances qui vont être produites par les équipes de recherche aillent aux bonnes personnes ensuite, explique la directrice du CEFRIO à Montréal et directrice du développement de projet, Josée Beaudoin. Il faut que le projet ait l'effet qui est recherché : provoquer des discussions et les changements qui sont nécessaires autour de cette problématique.»
Les TIC au service de l'éducation
Les trois écoles qui participent au projet, l'École Saint-Coeur-de Marie à Rivière-à-Pierre, l'École Christ-Roi à Saint-Camille et l'École Jacques-Rousseau de Radisson, sont «des écoles dont les ressources sont limitées à cause du nombre limité d'élèves, indique Thérèse Laferrière. Le petit nombre d'élèves affecte toutes les normes qui s'appliquent au niveau du nombre d'enseignants, d'enseignants spécialisés ou encore de conseillers spéciaux», comme les orthopédagogues ou les psychologues.
L'éloignement de ces établissements fait également en sorte qu'il est difficile de recruter et de garder le personnel enseignant. «Je ne peux pas donner tous les cours que je veux parce que je suis restreinte dans le personnel, déplore la directrice de l'école Jacques-Rousseau à Radisson, Hélène Dessureault. Je n'ai pas de cours de musique parce qu'il n'y a pas de professeur de musique. On a les instruments et les installations, parce qu'il y a déjà eu un enseignant pour cette matière, mais tout cet équipement dort.» L'école de Radisson est la seule école secondaire qui participe au projet. Elle va travailler en réseau avec une école de Chibougamau et une école de Québec.
En naviguant à haute vitesse sur Internet et en travaillant en réseau avec d'autres écoles grâce aux TIC, les professeurs vont avoir la possibilité d'accéder à des ressources qui se trouvent à l'extérieur de leurs établissements scolaires. De plus, avec la vidéo conférence, différentes options s'offrent à eux. «On peut très bien s'imaginer des ententes entre les enseignants de différentes écoles pour se diviser la tâche autrement en utilisant les réseaux. Ça devient une façon différente de gérer les classes», déclare Mme Laferrière.
Nécessaires enseignants
Mme Laferrière précise cependant que le but «n'est pas de remplacer les enseignants et qu'il ne s'agit pas du modèle où l'élève va s'asseoir dans une classe pour suivre un cours complet par télé-enseignement». L'objectif est plutôt «d'arriver à mettre plus de flexibilité dans le système, tout en permettant aux élèves de réussir très bien et en accomplissant les objectifs de la réforme.» «La réforme est exigeante, souligne la chercheuse, elle demande plus de ressources et elles ne sont pas toujours en place. On part de là. [La question est] à quel point on peut se servir des réseaux, tout en permettant aux élèves de réussir, d'élargir, mais aussi d'approfondir leurs connaissances.»
Concernant la réforme, qui favorise la pédagogie par projets, les TIC vont être à cet égard d'une grande utilité pour ces petites écoles. En effet, à cause du nombre peu élevé d'élèves, les classes réunissent des enfants de plusieurs niveaux. En travaillant en réseau, les élèves d'un même groupe d'âge vont pouvoir élaborer des projets ensemble d'une école à l'autre. «Mon élève qui est seul en bio cette année, nous allons essayer de l'intégrer à un projet que les élèves d'une autre école vont faire. Lui, il va avoir une tâche précise et s'il a besoin d'aide, il va être capable de communiquer avec les autres», se réjouit Mme Dessureault.
En plus de l'aspect pédagogique, les psychologues et les orthopédagogues, qui visitent ces établissements quelques fois par année, vont pouvoir effectuer des suivis plus fréquents en utilisant les TIC. Si une urgence se présente, «l'élève pourra à ce moment-là aller en interaction avec la personne spécialisée sur le réseau», précise Mme Laferrière.
Un atout pour toute la communauté
Selon le sous-ministre adjoint à l'éducation préscolaire et à l'enseignement primaire et secondaire, Robert Bisaillon, qui est impliqué dans le projet, «c'est clair que l'école est le pivot du village. Il n'y a pas un jeune couple qui va s'installer dans un village qui ne possède pas une école. Mais ce n'est pas tout de garder l'école ouverte. Si on garde les enfants dans des ghettos, ce n'est pas mieux; si la qualité est moindre, ce n'est pas mieux non plus. Il faut donc non seulement continuer à payer pour garder les écoles ouvertes, mais il faut aussi transformer les choses au fur et à mesure».
D'après lui, «si on ne fait pas ces choses-là aujourd'hui, dans dix ans, il va être trop tard. On va fermer les écoles de villages et ça va être terminé. Les élèves vont faire des distances incroyables et dans certains cas, ils vont choisir de ne plus aller à l'école». En introduisant les technologies de l'information dans les petites écoles rurales, il serait possible, sous certaines conditions, d'assurer aux élèves une éducation de qualité et ainsi attirer les jeunes familles dans la région. «On veut garder les écoles près des élèves, mais à la condition qu'on transforme un peu la façon d'enseigner ou de travailler», et les TIC pourraient être la solution.
À Radisson, la directrice veut faire profiter toute la communauté de ce projet. «Au niveau de la vidéoconférence, quelqu'un qui veut suivre un cours ou qui veut avoir un perfectionnement dans n'importe quel domaine va avoir accès à son cours parce que la salle de vidéoconférence va être accessible à toute la communauté. Ce projet-là, c'est vraiment un plus pour tout le monde et la communauté appuie cette initiative.»
Un pas vers l'avenir
Pour Paul Inchauspé, qui travaille comme expert en éducation pour le CEFRIO dans cette recherche-action, «ce projet correspond à un besoin. Les petites communautés ont le droit de vivre et pour qu'elles vivent, leurs petites écoles doivent demeurer le plus possible. Mais il ne s'agit pas uniquement de régler un problème, poursuit-il, mais de regarder en avant. Dans le mesure où le mouvement social du maintien des petites écoles va rester fort, un système d'éducation doit tout faire pour que ces petites écoles soient de qualité.» Et pour que les écoles rurales soient «des écoles de qualité malgré leur isolement» le meilleur moyen, ce sont «les technologies informatiques à usage facile. À partir du moment où vous avez un ordinateur, vous pouvez non seulement accéder à des connaissances, mais directement à des personnes».
Au ministère de l'Éducation, M. Bisaillon affirme «vouloir faire des expériences avec des milieux différents pour voir le potentiel de généralisation. On veut savoir d'abord comment on va transformer l'enseignement et quelles sont les grosses conditions technologiques nécessaires. Et là, il va y avoir des décisions à prendre». Mais avec ce projet, «pendant une année, on va faire l'expérimentation en sachant que nous ne sommes pas en retard par rapport à ce qui se passe dans le monde».