Accord «historique» pour l’éducation des Autochtones

Les élèves autochtones doivent notamment faire les épreuves ministérielles de fin d’année, comme les autres enfants québécois.
Photo: Andrew Vaughan La Presse canadienne Les élèves autochtones doivent notamment faire les épreuves ministérielles de fin d’année, comme les autres enfants québécois.

Une entente de principe qualifiée d’« historique » entre Ottawa et les Premières Nations ouvre la voie à une hausse « substantielle » du financement des écoles dans les réserves et à davantage d’autonomie des Autochtones pour gérer leur système d’éducation.

Selon ce que Le Devoir a appris, cet accord est accueilli à bras ouverts dans 22 communautés autochtones du Québec, qui réclament depuis des années des mesures pour protéger leurs langues et leur culture. La ratification de l’entente par chacun des conseils de bande doit se faire d’ici la fin du mois de juin.

Ce coup de barre fait suite à un engagement du gouvernement Trudeau de « décoloniser l’éducation » après les traumatismes des pensionnats, créés pour assimiler les jeunes Autochtones. La découverte de tombes anonymes près de ces écoles religieuses, depuis un an, a jeté une lumière crue sur la violence du système contre les Premiers Peuples.

« On a vécu des traumatismes, mais on est aujourd’hui en bonne position pour améliorer le financement et la gouvernance de nos écoles », confirme Denis Gros-Louis, directeur général du Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN), qui représente ces 22 communautés autochtones au Québec.

M. Gros-Louis refuse de révéler les détails de l’accord avec Ottawa, qui doivent être dévoilés dans les prochaines semaines, mais il rappelle l’ampleur des besoins des Premières Nations en matière d’éducation. Le financement fédéral est gelé au niveau de 1996, selon lui. De plus, la majorité des élèves des réserves abandonnent l’école avant d’avoir obtenu leur diplôme d’études secondaires, a déterminé en 2018 le Bureau du vérificateur général.

« Crédibilité des diplômes »

Les réserves autochtones relèvent d’Ottawa, qui finance les services, mais les conseils de bande doivent réussir un tour de force : se conformer au régime pédagogique québécois tout en enseignant leurs langues et traditions ancestrales.

Les Premières Nations au Québec suivent le programme du ministère de l’Éducation pour « garantir la crédibilité des diplômes », explique Denis Gros-Louis. Les élèves autochtones doivent notamment faire les épreuves ministérielles de fin d’année, comme les autres enfants québécois. Cela leur permet de continuer leurs études n’importe où au Québec, par exemple si leurs parents déménagent.

Les communautés autochtones se permettent toutefois d’adapter certains programmes à leur contexte. Par exemple, elles n’ont pas mis en place les maternelles 4 ans, qui insistent trop à leur goût sur les apprentissages et pas assez sur le plaisir des tout-petits. Les Premières Nations ont plutôt formé les parents à aider leurs enfants de 4 ans à s’éveiller aux chiffres et aux lettres par le jeu.

Le CEPN produit aussi du matériel scolaire adapté aux réalités locales : les enfants apprennent les mathématiques en comptant des feuilles d’arbre ou des envolées d’outardes.

L’enseignement des langues nécessite aussi de coûteuses adaptations, explique Denis Gros-Louis. Par exemple, à Kahnawake, la langue mohawk est enseignée par des aînés. Ils ont besoin de l’appui de plus jeunes enseignants qui maîtrisent la pédagogie. Deux personnes en classe, ça vient doubler le coût de l’enseignement.

Un pont entre les cultures

 

Les jeunes Autochtones ont besoin de se sentir valorisés à l’école — un lieu qui leur a longtemps été hostile —, souligne Marie-Marthe Malec, conseillère pédagogique au cégep de Sept-Îles. Cette Innue originaire de Natashquan mène depuis 35 ans une carrière en enseignement. Elle connaît bien Gilles Vigneault. Marie-Marthe Malec se considère comme « un pont entre les cultures ».

« Quand je suis devenue enseignante, j’étais anxieuse. Il fallait que je suive le programme d’éducation québécoise. Après cinq ou six ans, je me suis dit : “Wow ! Je vais commencer à intégrer ma culture dans mon enseignement” », a-t-elle raconté cette semaine lors d’un colloque sur l’autochtonisation de l’éducation au collège Ahuntsic, dans le nord de Montréal.

Cette pionnière se méfie de l’étiquette de « trouble de comportement » ou d’apprentissage accolée à des élèves autochtones. Avec le recul, elle considère que ces enfants ont peut-être juste des difficultés avec des méthodes d’enseignement mal adaptées à leur réalité.

« L’éducation, pour les Autochtones, c’est “voir et faire”. Ne donnez pas des cours magistraux d’une heure, vous allez les perdre. On n’écoute pas ! On doit expérimenter. N’enseignez pas une recette en disant de mettre 100 millilitres de ci et 200 millilitres de ça, faites plutôt la recette avec les jeunes, ils vont comprendre », dit-elle.

La langue d’enseignement peut créer un obstacle supplémentaire à la réussite des élèves autochtones, souligne de son côté Denis Gros-Louis. Le français ou l’anglais sont souvent la deuxième ou la troisième langue de ces enfants. Par exemple, les Innus et les Atikamekw parlent d’abord et avant tout leur langue ancestrale. Ils apprennent ensuite le français. Pour les Mohawks, majoritairement anglophones, c’est le français qui pose problème.

M. Gros-Louis déplore que le projet de loi 96, adopté récemment, marginalise les langues autochtones, ce qui menace carrément la réussite des élèves des Premières Nations, selon lui.

Julie Gauthier, enseignante en anthropologie au collège Ahuntsic — qui a organisé le colloque de cette semaine sur l’autochtonisation de l’éducation —, salue la bonne volonté du gouvernement fédéral pour aider les Premières Nations. Mais il faudra aller plus loin, selon elle.

« Les Autochtones sont en marche. On ne peut pas les arrêter. Si on ne leur donne pas l’autodétermination en éducation, ils vont la prendre », croit-elle.

Elle note que les Premières Nations n’ont pas la même conception du temps que la majorité. Le parcours scolaire des Autochtones pourrait s’étendre sur une période différente de celle prévue au régime pédagogique actuel. Les élèves pourraient par exemple aller dans le bois pour la saison de la chasse et revenir plus tard sur les bancs d’école — sans être pénalisés. Les façons d’évaluer les apprentissages sont aussi susceptibles d’être adaptées. C’est aux nations autochtones à déterminer leurs besoins, souligne Julie Gauthier.

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