Le défi d’intégrer les enseignants «non légalement qualifiés»

La semaine dernière, une nouvelle enseignante d’une école primaire de la grande région de Montréal est sortie de sa classe pour se réfugier dans le corridor. À l’abri du regard de ses élèves, elle a éclaté en sanglots. Les petits tannants lui donnaient du fil à retordre. La pression était forte.
« C’est normal de pleurer quand on commence dans la profession. J’ai braillé moi-même à mes débuts », raconte Claudine Ouellette, conseillère pédagogique au secondaire au Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSSPI), dans l’est de Montréal.
Les conseillers pédagogiques jouent un rôle méconnu, mais d’une importance capitale, dans le réseau scolaire : ils aident les professeurs à gérer leur classe et à recourir aux meilleures méthodes d’enseignement. La tâche des conseillers pédagogiques s’est alourdie — et complexifiée — avec l’arrivée massive d’enseignants « non légalement qualifiés » appelés en renfort à cause de la pénurie de personnel.
L’accompagnement de ces milliers d’enseignants sans brevet (et souvent sans expérience) est devenu le « défi numéro un » des conseillers pédagogiques, révèle un sondage interne que Le Devoir a obtenu. Ce coup de sonde a été mené au mois de février 2022 auprès de 892 conseillers pédagogiques membres de la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec (FPPE-CSQ).
Faute de candidats diplômés, pas moins de 3757 professeurs sans brevet ont été embauchés dans les écoles québécoises en 2020-2021, selon le ministère de l’Éducation. Une hausse de 50 % par rapport à l’année précédente. Le nombre réel d’enseignants non légalement qualifiés est beaucoup plus important, selon les experts, car les chiffres officiels ne tiennent pas compte des suppléants occasionnels.
Qui sont ces enseignants non légalement qualifiés ? Des personnes embauchées comme professeurs sans avoir terminé leur baccalauréat de quatre ans ouvrant la voie à la profession. Il peut s’agir d’étudiants en éducation, d’enseignants ayant une expérience à l’étranger ou de suppléants qui détiennent un baccalauréat dans une discipline (géographie, histoire, biologie, etc.) qu’ils enseignent au secondaire.
Gestion de classe
« Les conseillers pédagogiques mettent tellement d’efforts à s’occuper des enseignants non légalement qualifiés qu’ils n’ont plus le temps de conseiller les autres membres du personnel », déplore Jacques Landry, président de la FPPE.
Il s’inquiète pour la qualité du soutien aux nouveaux enseignants : les embauches de conseillers pédagogiques ont augmenté de 10 % entre les années 2017 et 2020, comparé à une hausse de 96 % des « tolérances d’engagement » (de professeurs non légalement qualifiés) pour la même période.
Selon le sondage, les conseillers pédagogiques soutiennent les professeurs non légalement qualifiés pour plusieurs facettes du métier : ils peuvent mal connaître les programmes pédagogiques, les méthodes d’enseignement ou les façons d’évaluer les élèves. Ils ont aussi besoin d’aide pour gérer leur classe.
« Il est normal que les nouveaux enseignants vivent une part d’insécurité. En début de carrière, on a tous peur de perdre le contrôle d’un groupe et de voir la situation se dégrader », explique Pascal Lapierre, conseiller pédagogique au Centre de services scolaire des Trois-Lacs, à Vaudreuil-Dorion.
Les trois quarts des conseillers pédagogiques ayant répondu au sondage en ligne disent avoir accompagné des professeurs non légalement qualifiés ou sans brevet d’enseignement du Québec au cours des deux dernières années. La vaste majorité d’entre eux (73 %) affirment que le soutien à ces enseignants est « plus exigeant » ou « beaucoup plus exigeant » que celui habituellement destiné aux nouveaux professeurs diplômés.
Le sondage note que les professeurs non légalement qualifiés peuvent souffrir d’isolement. Il leur arrive d’être stigmatisés par leurs collègues. Pascal Lapierre souligne cependant que tous les enseignants, y compris ceux n’ayant pas la qualification légale, sont les bienvenus dans les écoles, parce qu’ils jouent un rôle crucial à l’ère de la pénurie d’enseignants.
« Nos nouveaux enseignants ont besoin de soutien, mais ils apportent des choses positives. On vit de super belles réussites avec eux », renchérit Nathalie Gaudin, conseillère pédagogique au CSSPI, dans l’est de Montréal.
Elle et sa collègue Claudine Ouellette notent que l’accompagnement de tous les nouveaux professeurs, y compris les diplômés, est essentiel. D’autant plus que les jeunes enseignants se retrouvent souvent dans les classes les plus difficiles : avec leur ancienneté, les professeurs plus expérimentés ont le privilège de choisir les groupes formés des élèves qui réussissent mieux.