L’Université Laurentienne a enfreint la Loi sur les services en français

L’Université Laurentienne a enfreint la Loi sur les services en français de l’Ontario en supprimant tous les programmes menant à deux diplômes désignés, conclut la commissaire aux services en français de l’Ontario, Kelly Burke, dans un rapport d’enquête déposé jeudi.
La commissaire a commencé son enquête au mois de juin dernier, après avoir reçu 60 plaintes concernant la suppression de 72 programmes, dont 29 en français, à l’université sudburoise. En raison d’une désignation partielle en vertu de la Loi sur les services en français, l’établissement aurait dû s’assurer que ses diplômes pouvaient être obtenus en français. « Être désigné est un privilège et une grande responsabilité », a souligné Kelly Burke en conférence de presse.
En plus d’enquêter sur les obligations de la Laurentienne, Mme Burke et son équipe se sont aussi penchées sur celles du ministère des Collèges et Universités et du ministère des Affaires francophones. D’après la commissaire, ces ministères ont fait preuve de « laxisme » et n’ont pas respecté leur responsabilité en matière de protection des services en français. « C’est inacceptable que trois institutions n’aient pas pris les mesures nécessaires pour se conformer à la Loi », a-t-elle lancé jeudi matin.
Pour sa part, l’Université dit ne pas avoir consulté les ministères pour discuter de l’effet de ses décisions, « bien qu’elle se soit rendu compte que ses difficultés financières risquaient d’avoir des répercussions sur les programmes menant aux diplômes désignés ». L’enquête a d’ailleurs permis d’apprendre que l’établissement postsecondaire avait aboli plus de programmes que ce qu’il avait d’abord annoncé.
Par voie de communiqué, l’établissement s’est dit prêt à travailler avec les deux ministères pour donner suite aux recommandations de la commissaire Burke.
Une définition qui porte à confusion
Kelly Burke fait état d’une confusion à l’égard de la portée de la désignation partielle de l’Université en vertu de la Loi sur les services en français. Le libellé de la désignation semble indiquer que les programmes menant aux diplômes désignés sont protégés, lit-on dans le rapport. « Toutefois, les trois organisations visées par l’enquête nous ont indiqué que c’étaient en réalité seulement les diplômes qui étaient protégés », ajoute la commissaire.
Le Commissariat aux services en français de l’Ontario conclut toutefois que l’Université Laurentienne a enfreint la Loi avec cette interprétation trop « étroite » et il l’invite maintenant à adopter une vision plus large de ses obligations en protégeant les programmes d’étude.
« L’Université a donné une classe de maître sur comment violer la Loi sur les services en français », s’indigne François Larocque, spécialiste des droits linguistiques. Le professeur de l’Université d’Ottawa croit d’ailleurs que l’interprétation de la désignation était plus généreuse lors de sa mise en place en 2014. Un tel changement de lecture, « ça révèle une fragilité dans toute administration », estime-t-il.
« Il y a des administrations qui changent et certains devraient peut-être s’informer », dit aussi Matthew Conway, ancien attaché politique de la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney.
Les manquements n’ont d’ailleurs pas commencé quand l’Université s’est mise à l’abri de ses créanciers, en février 2021, et ne se limitent pas à l’élimination des deux diplômes. Un programme menant à l’un des diplômes désignés — la maîtrise en activité physique — a été supprimé en juillet 2020, note la commissaire. L’Université a soustrait ce service « sans équivoque », violant ainsi ses obligations en vertu de l’article 10 de la Loi sur les services en français, écrit Kelly Burke.
Pour éviter toute confusion à l’avenir, la commissaire recommande ainsi au ministère des Affaires francophones de communiquer clairement par écrit à la Laurentienne ses obligations — et que l’explication soit rendue publique. Il s’agit d’une des 19 recommandations qui se trouvent dans le rapport.
Où étaient les ministères ?
Le ministère des Collèges et Universités a été informé dès décembre 2020 que l’Université Laurentienne envisageait de se mettre à l’abri de ses créanciers. À partir de ce moment, des rencontres d’information ont eu lieu entre le ministère et l’établissement, mais les obligations de ce dernier en matière de services en français « n’ont pas été discutées » avant le 21 avril 2021, apprend-on dans le rapport.
Tous les ministères ontariens sont dotés d’un coordonnateur des services en français, qui a la responsabilité d’obtenir des informations auprès des organismes désignés pour évaluer leur conformité à la Loi. Le rapport indique toutefois que le ministère des Collèges et Universités ne l’a pas consulté entre juillet 2020 et avril 2021.
Le ministère des Affaires francophones devrait pour sa part être plus proactif dans l’application de la Loi sur les services en français, recommande Kelly Burke. En ce moment, on « s’attend à ce que les organismes désignés et les ministères parrains signalent tout enjeu », note-t-on dans le rapport. Le ministère doit donc faire preuve de plus de leadership dans sa protection des droits linguistiques des francophones, selon la commissaire, qui suggère qu’il soit réorganisé afin « de bien administrer la loi [et de] faire en sorte qu’on n’ait pas une autre situation semblable ».
L’ex-attaché politique de la ministre Mulroney, Matthew Conway, défend toutefois le ministère des Affaires francophones sur ce plan. Ce dernier est limité dans ses actions par ses effectifs, dit-il : « Il y a juste un nombre d’heures X dans une journée. »
Du côté de l’opposition néodémocrate, on n’est pas surpris par les manquements aux Affaires francophones. « Je n’ai jamais eu beaucoup confiance envers le ministère […] et le niveau n’a pas changé », a commenté la députée de Nickel Belt, France Gélinas.
« La Laurentienne est autonome, et les affaires académiques et administratives sont à sa discrétion », ont de leur côté déclaré les porte-parole des deux ministères concernés en réponse à l’enquête de la commissaire.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.