Le rapport d’enquête sur l’Université Laurentienne attendu avec impatience

La commissaire aux services en français de l’Ontario, Kelly Burke, déposera jeudi matin son premier rapport d’envergure depuis son entrée en poste en 2020. Son enquête sur les suppressions de programmes à l’Université Laurentienne est attendue avec impatience par plusieurs membres de la communauté franco-ontarienne.
Kelly Burke a annoncé le début de l’enquête au mois de juin dernier après avoir reçu plusieurs plaintes concernant l’élimination de 69 programmes, dont 28 en français, par l’établissement trois mois plus tôt. En tant qu’organisme partiellement désigné en vertu de la Loi sur les services en français (LSF), la Laurentienne doit offrir depuis 2014 des programmes francophones menant à treize diplômes différents. La commissaire Burke cherche, entre autres, à déterminer si l’Université a respecté ses obligations en vertu de la Loi.
Me Samantha Puchala, une avocate franco-ontarienne, attend le dépôt du rapport avec impatience. « C’est comme attendre une décision de la Cour suprême », illustre l’ancienne présidente de l’Association des étudiantes et étudiants francophones de l’Université Laurentienne.
« On ne peut surestimer l’importance du rapport », soutient Me François Larocque, avocat et professeur spécialisé en droits linguistiques à l’Université d’Ottawa. « J’ai tellement hâte de le lire », mentionne-t-il.
« Zéro tentative »
Les opinions sont partagées sur la responsabilité de l’Université, qui fait l’objet de l’une des trois questions de la commissaire. D’après Me François Larocque, l’établissement a manqué à ses obligations en supprimant des programmes menant à certains des treize diplômes et en ne justifiant pas sa décision, comme elle se doit de le faire en vertu de l’article 7 de la Loi. « On a vu zéro tentative, dans les mois qui ont précédé et au moment des coupes, de justification », affirme le spécialiste des droits linguistiques.
Certains ont une interprétation plus étroite de la désignation. Selon Me Samantha Puchala, la désignation protège l’obtention de treize diplômes et non pas l’accès aux programmes qui y mènent spécifiquement. « Je pourrais voir une situation où une violation de la Loi n’est pas déterminée », dit-elle. L’avocate a examiné la question en 2015 lorsqu’elle était étudiante à la Laurentienne et a déterminé que tous les programmes pouvant mener à un diplôme de baccalauréat en art pouvaient être fermés sauf un, « et techniquement la loi pouvait être respectée ».
L’ancien fonctionnaire Didier Pomerleau, qui a traité des dossiers concernant le postsecondaire francophone pendant sept ans au sein de trois ministères — dont celui des Collèges et Universités — n’est pas certain de la responsabilité de l’Université non plus. « La plupart des grades [désignés] — peut-être même l’entièreté — semblent encore être offerts », observe-t-il. « Si on parle de l’infraction de la Laurentienne, c’est hypothétique, je pense », conclut-il.
Par courriel, Marilissa Gosselin, attachée de presse de la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, souligne que l’Université a d’abord suspendu deux des treize grades désignés en vertu de la Loi, soit la maîtrise ès arts et la maîtrise en activité physique. L’établissement élabore de nouveaux programmes pour rendre disponible à nouveau les grades suspendus, affirme-t-elle.
Le ministère à blâmer ?
D’autre part, Kelly Burke s’est penchée sur les actions du ministère des Affaires francophones et de celui des Collèges et Universités et de son ministre de l’époque, Ross Romano. « Est-ce qu’il y a eu une prise en compte de la Loi sur les services en français au ministère ? Est-ce que le ministère lui-même s’est rappelé que la Laurentienne y était assujettie ? » demande Me François Larocque.
Le gouvernement et son ministre des Collèges et Universités ont été la cible de critiques des partis d’opposition depuis la mise à l’abri de l’Université de ses créanciers en février 2021. Le même mois, l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario a d’ailleurs demandé la démission de Ross Romano. Dans le même temps, le ministre a révélé qu’il avait pris connaissance des problèmes financiers de l’établissement six mois plus tôt. En toile de fond, le ministère a réduit les frais de scolarité de 10 % pour les étudiants ontariens en 2019 et les a gelés depuis.
À partir de l’année prochaine, le financement des universités sera aussi en partie axé sur dix indicateurs de rendement. « La priorisation des résultats encouragera les collèges et les universités à être plus efficaces et spécialisés, et à se concentrer sur ce qu’ils font le mieux », a affirmé le ministre Romano à l’époque de l’annonce, en 2020. « Le potentiel d’un tel rapport [de la commissaire aux services en français], c’est de nous faire réfléchir et d’entrevoir des indicateurs différents lorsqu’il s’agit d’une institution bilingue et francophone », soutient Me François Larocque.
« Je pense qu’on a un problème plus large avec le financement des universités [en Ontario], et il y a un impact qui est encore plus sévère sur les universités francophones », observe Me Samantha Puchala. D’après Didier Pomerleau, les employés du ministère des Collèges et Universités doivent surtout se demander quelle est la meilleure manière d’assurer les objectifs stratégiques du gouvernement, c’est-à-dire d’assurer un accès à une programmation de langue française au postsecondaire dans le nord de la province. « Est-ce à travers la Laurentienne et sa désignation ? Ou est-ce qu’il y a d’autres mécanismes ? » demande-t-il.
Les deux ministères ont « fait tout ce qui était humainement possible » pour prévenir une telle situation à la Laurentienne, assure Matthew Conway, ancien directeur des affaires francophones de la ministre Caroline Mulroney. Les employés des deux ministères sont de bonne foi, dit-il, et ont la francophonie à cœur. « Pour moi, tout le blâme revient à la Laurentienne et pas aux deux ministères mentionnés », affirme Matthew Conway.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.