Le rêve de la gratuité scolaire

L’indexation des droits de scolarité reste toutefois un «compromis raisonnable», font valoir les universités.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’indexation des droits de scolarité reste toutefois un «compromis raisonnable», font valoir les universités.

Le rêve d’une éducation gratuite jusqu’à l’université a refait surface la semaine dernière : 2000 personnes ont manifesté dans les rues de Montréal pour le dixième anniversaire du Printemps érable. Loin d’être une utopie, l’élimination des droits de scolarité est tout à fait possible, mais ne serait pas la panacée, préviennent des experts.

La gratuité scolaire à l’université aurait un prix : 1,36 milliard de dollars, selon les données de Statistique Canada. C’est la valeur des droits de scolarité versés par les étudiants d’université au Québec en 2019-2020. Cette somme représente 17 % des revenus totaux de 8 milliards de dollars des universités québécoises cette année-là.

La gratuité de l’éducation du préscolaire à l’université faisait partie des recommandations de la commission Parent, rappelle Michel Umbriaco, professeur spécialisé en financement de l’enseignement supérieur à la TELUQ. Les Québécois francophones avaient un immense retard à rattraper en matière d’éducation. « La gratuité est encore un objectif qui est louable en termes de valeurs sociales. Ça devient un choix politique », dit-il.

La facture de 1,36 milliard par année pour la gratuité à l’université serait une grosse bouchée à avaler : cette somme représenterait 1 % des dépenses totales de l’État québécois. Ce serait aussi 13,5 % du budget du ministère de l’Enseignement supérieur en 2022-2023. Il s’agit d’une dépense considérable, mais gouverner, c’est choisir les dépenses jugées les plus pertinentes, souligne Michel Umbriaco.

Des pays comme le Danemark et la France ont fait le choix politique de l’université gratuite. Mieux encore, les étudiants danois sont payés pour faire leur baccalauréat (et pour les stages). Ce modèle coûte cependant très cher, au point que le président français, Emmanuel Macron, a évoqué récemment la fin de la gratuité en France.

Il est vrai que les gouvernements font face à des défis budgétaires inédits. La pandémie, la crise du coût de la vie, la guerre en Ukraine et bien d’autres facteurs augmentent les pressions financières sur les États.

Cela n’empêche pas les pays européens de consacrer davantage de fonds publics aux universités que ceux d’Amérique du Nord : plus de 80 % des dépenses en enseignement supérieur sont publiques dans 10 pays d’Europe, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au Canada, environ 50 % des dépenses en enseignement supérieur sont publiques. Cette proportion au Québec (où les droits de scolarité sont moindres qu’ailleurs au pays) se rapproche sans doute de celle des États européens, estiment les experts.

« Les universités font partie de la stratégie de développement du Québec et de l’Occident en général. Les gouvernements savent que l’enseignement supérieur est un investissement rentable », souligne Michel Umbriaco.

Il note que le gouvernement Legault a annoncé cette semaine un financement supplémentaire de 1,2 milliard de dollars sur cinq ans pour les cégeps et les universités. Le ministère de l’Enseignement supérieur a droit à la plus forte hausse budgétaire relative parmi toutes les missions de l’État — 13 % sur une année. Le budget du ministère franchit la barre symbolique des 10 milliards de dollars.

Un compromis « raisonnable »

Les recteurs ont salué les investissements de Québec, mais rappellent que les universités font face à des besoins grandissants. Au-delà de la pandémie, les établissements doivent investir pour le numérique et la cybersécurité, rappelle Pierre Cossette, recteur de l’Université de Sherbrooke. Il est président du Bureau de coopération interuniversitaire, qui regroupe les 18 universités québécoises.

Les établissements s’attendent aussi à des besoins d’espaces supplémentaires, parce que la vague démographique qui frappe les écoles primaires et secondaires débordera dans les cégeps et les universités. Le budget prévoit 232,5 millions d’ici 5 ans pour la location (et non la construction) d’espaces.

Les recteurs estiment « raisonnable » le compromis d’indexation des droits de scolarité adopté en 2013, dans la foulée du Printemps érable. « On n’est pas du tout désireux de rouvrir la formule de financement universitaire [pour introduire la gratuité], dit Pierre Cossette. On a l’impression qu’un équilibre a été trouvé à l’heure actuelle. »

Michel Poitevin, professeur au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal, considère que l’indexation des droits de scolarité est un minimum. « Je dis à mes étudiants : “Si vous voulez payer moins cher pour vos études ou les avoir gratuitement, la qualité va baisser” », prévient-il.

En France, où l’université est gratuite, l’accès à certains programmes est contingenté, faute de ressources. Cela donne lieu à de l’élitisme, comme à Polytechnique, où une poignée d’étudiants sont admis chaque année, note le professeur. « On a beaucoup d’étudiants français au Québec qui sont bien contents d’étudier chez nous. Ils disent que les profs sont plus accessibles », dit Michel Poitevin.

La façon la plus progressive de favoriser l’accès aux études n’est pas de baisser les prix pour tout le monde, c’est de donner des bourses à ceux qui en ont besoin.

Il croit que la modulation des droits de scolarité en fonction des coûts de formation aiderait les universités à se maintenir à flot. Lui et son équipe avaient calculé, il y a une décennie, que cette formule rapporterait 200 millions par année aux établissements québécois.

La modulation serait une méthode équitable, selon le professeur, car les formations les plus coûteuses à offrir, en médecine, en génie ou en médecine dentaire, par exemple, sont celles qui rapportent les meilleurs salaires aux diplômés (qui ont les moyens de rembourser leurs prêts étudiants). Le prix des formations en sciences humaines ou sociales resterait stable.

« La façon la plus progressive de favoriser l’accès aux études n’est pas de baisser les prix pour tout le monde, c’est de donner des bourses à ceux qui en ont besoin. Celui qui habite dans une grosse cabane à Westmount, qu’il paye », résume le professeur.

 

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