Les directions d’école au bout du rouleau

Seulement 69 candidatures pour des postes de directeur ou directrice d’école ont été reçues dans 42 centres de services scolaires.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Seulement 69 candidatures pour des postes de directeur ou directrice d’école ont été reçues dans 42 centres de services scolaires.

La relève commence à manquer pour les directions d’école, qui sont à bout de souffle et souffrent d’un manque de reconnaissance après deux années de bouleversements dus à la pandémie.

Selon ce que Le Devoir a appris, les banques de candidats à des postes de direction d’école ou de direction adjointe sont vides dans une série de centres de services. La Fédération québécoise des directions d’établissement scolaire (FQDE) indique qu’à peine 69 enseignants ont signifié leur intérêt pour des postes de directeur ou directrice d’école dans 42 centres de services scolaires.

Selon la FQDE, les banques de relève sont vides ou dégarnies à Laval et ailleurs dans la couronne nord de Montréal, où le réseau scolaire est soumis à une pression grandissante à cause de la croissance démographique.

« Nos membres sont au front depuis deux ans, ils travaillent les soirs et les fins de semaine, mais ils n’ont pas de reconnaissance. Il y a beaucoup de travail à faire pour la valorisation de la profession », dit Nicolas Prévost, président de la FQDE.

Les conditions de travail des directions d’école restent inchangées depuis le mois d’avril 2019. Leurs augmentations de salaire sont généralement calquées sur celles accordées aux enseignants, mais les discussions avec Québec ont été retardées à cause de la pandémie. Les négociations viennent de commencer, indiquent nos sources.

L’impatience gagne les rangs des directeurs et directrices. Depuis les hausses de salaire « historiques » accordées l’an dernier aux professeurs, des directions et des directions adjointes se trouvent dans une situation absurde : elles gagnent moins que leurs enseignants au sommet de l’échelle salariale.

En plus des nouveaux contrats de travail, les directions réclament une prime COVID comme celles ayant été accordées aux gestionnaires du réseau de la santé. Le ministère de l’Éducation et le Secrétariat du Conseil du trésor restent insensibles à ce jour à ces demandes. Les ministres Jean-François Roberge (Éducation) et Sonia LeBel (Conseil du trésor) ont décliné nos demandes d’entrevue à ce sujet.

« Sentiment d’injustice »

« Les directions d’école vivent un sentiment d’injustice », affirme Emmanuel Poirel, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Lui et son équipe mènent une enquête sur les conditions de travail des directions d’établissement. Le professeur indique que ce corps d’emploi est à la fois le plus éprouvé par les soubresauts de la pandémie dans le milieu scolaire et le plus stimulant pour des candidats en quête de défis. « Ce sont des gens qui ont une grande éthique professionnelle. Ils se sentent responsables » du bon fonctionnement des écoles et de la réussite des élèves, explique Emmanuel Poirel.

Le groupe de recherche du professeur a interrogé 1157 directions d’école ou directions adjointes (soit environ le tiers du total au Québec) au moyen d’un questionnaire en ligne distribué tout juste avant le début de la pandémie. Au début de l’année 2020, 98 % d’entre elles notaient travailler intensément et 87 % mentionnaient que les exigences émotionnelles du travail étaient très importantes.

L’équipe d’Emmanuel Poirel a distribué d’autres questionnaires au cours des dernières semaines, mais il est clair, selon le professeur, que les conditions de travail des directions d’école sont devenues plus difficiles avec la pandémie. Les directeurs et directrices doivent gérer les mesures sanitaires qui changent tout le temps, l’anxiété du personnel et des parents, la santé mentale et la réussite des élèves, et les innombrables absences dues à la COVID-19.

Le choc du métier

 

« Plusieurs n’ont pas d’adjoint à cause de la pénurie de personnel. Ils doivent gérer tout seuls une quarantaine d’employés en plus de toutes les autres responsabilités. Il y a des petites entreprises qui ont beaucoup plus de gestionnaires », souligne Emmanuel Poirel.

Les directions d’école ont obtenu l’an dernier 10 jours de « congé COVID », dont la moitié était monnayable. Ils réclament cette année une compensation financière, parce qu’ils peuvent difficilement prendre congé à cause de la surcharge de travail.

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), rapporte que de jeunes directeurs et directrices d’école vivent un choc en constatant les défis du métier. « Il y a des directions adjointes qui envisagent de revenir à l’enseignement », dit-elle.

L’explosion du nombre d’enseignants non légalement qualifiés — à cause de la pénurie — alourdit la charge de travail des directions, qui doivent former « sur le tas » ces nouveaux professeurs. La difficulté de se loger à Montréal décourage aussi des candidats qui préfèrent se tourner vers les banlieues, où les coûts du logement sont moins dissuasifs, souligne Kathleen Legault.

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