Des étudiants veulent voir fleurir un nouveau Printemps érable

Affectées par la pandémie et interpellées par diverses causes, des associations remettent la gratuité scolaire au menu.
Photo: François Pesant Le Devoir Affectées par la pandémie et interpellées par diverses causes, des associations remettent la gratuité scolaire au menu.

Dix ans après le Printemps érable, des associations étudiantes reprennent la lutte pour la gratuité scolaire du primaire à l’université en organisant une journée de grève le 22 mars.

Une dizaine d’associations étudiantes collégiales et universitaires appellent leurs dizaines de milliers de membres à battre le pavé du centre-ville de Montréal pour la gratuité « à tous les niveaux d’éducation », une décennie jour pour jour après la manifestation historique des opposants à la hausse des droits de scolarité du 22 mars 2012.

« Il est plus que temps de se mobiliser à nouveau pour réclamer que l’éducation ne soit pas un bien de consommation et soit gratuite », soutiennent les instigateurs de la « manifestation large » du 22 mars 2022 dans une déclaration.

L’Association générale étudiante du cégep du Vieux Montréal (AGECVM), l’Association facultaire étudiante de science politique et de droit de l’UQAM (AFESPED-UQAM), l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQAM et l’Association étudiante en anthropologie de l’Université de Montréal font partie du lot. Elles solliciteront un mandat de grève auprès de leurs membres fin février ou début mars. Ensemble, elles ont la « volonté de poursuivre le combat entamé en 2012 ». « Nous avons le pouvoir de lutter pour la gratuité scolaire et contre la marchandisation de l’éducation. Menons cette lutte », font-elles valoir.

« On veut remobiliser [nos membres] autour de l’idée de la gratuité », indique le responsable à la coordination générale de l’AFESPED, Émile Brassard, lors d’un appel téléphonique. « Les gens embarquent assez rapidement. On a des associations de partout qui sont impliquées », ajoute-t-il.

« On se doit de remettre le dossier [de la gratuité scolaire] de l’avant parce que la situation n’a pas été réglée [en 2012] », poursuit le secrétaire général par intérim de l’AGECVM, Xavier Courcy-Rioux, en entrevue avec Le Devoir. « Actuellement, il y a des étudiants qui sont brimés parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer des études supérieures », soutient-il. Selon lui, les étudiants ne doivent se contenter ni de l’indexation ni du gel des droits de scolarité. Selon Statistique Canada, les étudiants québécois du premier cycle paieront 4310 $ en droits de scolarité en 2021-2022.

Pas d’unanimité

Au fil des années, l’Association générale étudiante du cégep de Saint-Jérôme a obtenu pas moins de « douze mandats pour faire la gratuité scolaire », indique l’administrateur Colin Rousseau.

La gratuité scolaire ne fait toutefois pas l’unanimité dans les rangs étudiants. Au printemps 2012, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) en faisait la promotion, alors que la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) privilégiaient le gel des droits de scolarité.

À la sortie du Sommet sur l’enseignement supérieur (février 2013), la première ministre Pauline Marois avait finalement tranché : les frais de scolarité seraient indexés à la hausse annuelle du revenu disponible des familles.

Sur le plan national, seule la FECQ a survécu à la dernière décennie. La FEUQ s’est disloquée en 2015, laissant place à l’Union étudiante du Québec (UEQ), qui porte aujourd’hui la voix d’une dizaine d’associations universitaires. L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) s’est évaporée en 2019, sur fond de désaccords entre ses membres. Certains d’entre eux avaient dit vouloir réfléchir à une « nouvelle structure nationale ». Mais depuis, silence radio.

Des discussions « très, très préliminaires » ont été organisées pour donner vie à une « ASSE 2.0 », selon Émile Brassard, de l’AFESPED-UQAM. « On est encore en débat pour déterminer s’il en faut une », précise-t-il.

« Creux de vague »

L’histoire du mouvement étudiant est faite « de hauts et de bas », fait remarquer l’ex-leader étudiant devenu député Gabriel Nadeau-Dubois. « En ce moment, on est dans un creux de vague », observe l’ex-porte-parole de la CLASSE. « Mais moi, je n’ai aucun doute qu’on va voir une résurgence de la mobilisation étudiante. »

Il y a 15 ans, « GND » combattait, raconte-t-il, l’idée tenace selon laquelle le moteur du mouvement étudiant était à plat après avoir tourné à plein régime en 2005 pour faire capoter le projet du gouvernement Charest de convertir 103 millions de dollars de bourses en prêts dans le programme d’aide financière aux études. Puis, le Printemps érable a fleuri. La « tradition de la jeunesse québécoise de se lever pour défendre l’éducation » est « profondément ancrée dans l’histoire du Québec », souligne le détenteur d’une maîtrise en sociologie.

« Les moments politiques extrêmement forts produisent par la suite des creux importants durant lesquels on a l’impression qu’il n’y a plus rien. L’histoire nous enseigne que ces creux-là sont limités dans le temps. Un jour ou l’autre, parfois dans des moments où on les attend le moins, les mobilisations reviennent », explique le professeur de philosophie — et vétéran de batailles étudiantes — Éric Martin.

Réalignement

 

Depuis le Printemps érable, le discours des fédérations étudiantes s’est généralement détourné des droits de scolarité pour mettre l’accent sur la protection des stagiaires en milieu de travail, la santé psychologique des étudiants… et la lutte contre les changements climatiques, par exemple.

« La protection de l’environnement est au cœur des revendications étudiantes. On peut penser à GNL Québec : les associations ont été extrêmement impliquées dans la mobilisation », souligne le président par intérim de l’UEQ, Jonathan Desroches.

Le combat pour l’accessibilité des études dépasse la facture étudiante, constate le président de la FECQ, Samuel Vaillancourt. En plus de presser le gouvernement d’« améliorer l’aide financière aux études », l’organisme lutte contre « le racisme systémique en enseignement supérieur » et pour une meilleure intégration des étudiants en situation de handicap.

Devant le dérèglement climatique, « l’écoanxiété est palpable chez certains étudiants », soulève par ailleurs M. Vaillancourt.

La protection de l’environnement est au coeur des revendications étudiantes. On peut penser à GNL Québec : les associations ont été extrêmement impliquées dans la mobilisation.

Selon Gabriel Nadeau-Dubois, la mobilisation pour la justice climatique a les allures d’un « germe de quelque chose qui peut ressembler à 2012 ». « On ne se le cachera pas, la pandémie est venue considérablement faire diminuer la mobilisation », fait-il remarquer.

À ses yeux, les jeunes actuellement à l’école secondaire, au cégep ou à l’université retiennent du printemps 2012 qu’il est « possible » de « non seulement se tenir debout, se mobiliser, s’exprimer, mais [aussi] de gagner ».

Éric Martin croit aussi que la crise écologique pourrait donner naissance à une mobilisation sociale d’une ampleur comparable à celle d’il y a 10 ans. « Si la maladie, c’est le néolibéralisme, elle va continuer à produire des symptômes » comme des projets de resserrement du programme d’aide financière aux études (2005) et de hausse marquée des droits de scolarité (2011-2012) ou une croissance économique au mépris de l’environnement.

« L’idée du campus » menacée par l’enseignement à distance

Le professeur Éric Martin craint les répercussions du téléenseignement, qui s’est généralisé durant la pandémie de COVID-19, sur la vitalité du mouvement étudiant. Au nom de « l’idée du campus », il dissuade les établissements de normaliser l’enseignement à distance. « Quand les étudiants se rassemblent sur les campus, physiquement, ils ont l’occasion de discuter, puis de faire de la politique. Quand on détruit le cégep ou l’université comme un milieu de vie de socialisation communautaire, on atomise les gens, on les isole, et, évidemment, ça défavorise l’organisation politique syndicale », soutient l’ex-militant étudiant.



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