Engouement pour l’école virtuelle

La plus importante école virtuelle du Québec, qui accueille des élèves issus de 29 centres de services scolaires, a le vent dans les voiles. La demande est si élevée pour l’enseignement en ligne que des voix s’élèvent en faveur du libre choix des parents de scolariser leurs enfants en présence ou à distance, peu importe leur état de santé.
À l’heure actuelle, seuls les enfants ayant un problème médical qui les rend vulnérables à la COVID-19 (ou qui ont un parent vulnérable) peuvent suivre leurs cours à distance. Cela nécessite un billet de médecin. Mais selon ce que Le Devoir a appris, la pression augmente pour que les parents puissent choisir l’enseignement en ligne même pour des enfants en parfaite santé.
La montée du variant Omicron stimule l’intérêt pour l’école à distance, mais la demande existait avant cette nouvelle flambée des cas de COVID-19. Une école virtuelle créée par le Centre de services scolaire des Hautes-Rivières (CSSDHR), à Saint-Jean-sur-Richelieu, suscite ainsi l’engouement de parents. Cette école en ligne regroupe plus de 250 élèves du primaire et du secondaire issus de toutes les régions du Québec.
Des dizaines de ces enfants n’ont pas mis les pieds dans une école depuis le début de la pandémie, en mars 2020. Ces élèves se sont adaptés à leur nouvelle vie entièrement à distance, selon les témoignages recueillis par Le Devoir. « Ça fonctionne très bien. L’an dernier, on a constaté un maintien de la réussite et même une légère hausse des résultats pour nos élèves de l’école virtuelle », dit André-Paul Bouchard, directeur de l’école Saint-Jacques dont les élèves bénéficient du Service de scolarisation virtuelle du CSSDHR.
Comme tous les centres de services, le CSSDHR offre l’enseignement à distance aux enfants ayant un billet de médecin. À cause du nombre limité d’élèves, il fallait regrouper des enfants de niveaux différents avec un même enseignant. Ce n’était pas l’idéal. Pour former des groupes complets à chaque niveau du primaire et du secondaire, le CSSDHR a eu l’idée d’offrir ses services virtuels à tous les centres de services ; 28 d’entre eux, de toutes les régions du Québec, ont répondu à l’appel et envoient des élèves à cette école en ligne.
Il s’agit d’une « école » en bonne et due forme, avec quinze enseignants (six au primaire, neuf au secondaire), des services d’orthopédagogue et de psychoéducateur, une secrétaire et d’autres membres du personnel. Les élèves suivent le même programme pédagogique que ceux qui étudient en présence. Ils se font aussi évaluer. Ils ont un horaire à respecter.
L’école virtuelle est un tel succès que le CSSDHR propose de l’offrir à tous les parents qui le souhaitent, même si leurs enfants sont en pleine santé. « On est interpellés par plusieurs parents qui aimeraient cette solution. On pense que ça conviendrait aux besoins de bien des enfants », dit André-Paul Bouchard.
La santé d’abord
Sophie Roy fait partie des parents enchantés par l’école à distance. Ses deux plus jeunes enfants, asthmatiques, fréquentent l’école virtuelle du CSSDHR depuis le début de la pandémie. Ils n’ont pas mis les pieds dans une « vraie » école depuis mars 2020.
« On trouve qu’on a fait les bons choix. La santé pour nous autres, ça n’a pas de prix », dit la mère de quatre enfants.
La pandémie a transformé le quotidien de cette famille de Saint-Jean-sur-Richelieu. Sophie Roy et son mari exploitaient un service de garde en milieu familial. Quand la pandémie a éclaté, cinq tout-petits sous leur garde ont eu de fortes fièvres. Compte tenu de l’asthme dont souffrent trois des enfants de la famille ainsi que le père, le couple a décidé de fermer le service de garde.
Le papa a trouvé un nouvel emploi. La mère reste à la maison pour superviser l’enseignement virtuel de ses deux garçons d’âge primaire. « Il faut être présent en tant que parent. On ne peut pas les laisser tout seuls à cet âge-là, ils ont besoin d’encadrement », raconte Sophie Roy.
Les deux garçons se sont adaptés sans difficulté à leur nouvelle vie. Le plus jeune, Vincent (en 4e année), a quand même hâte de jouer « en personne » avec ses amis. Quant à Herman (en 6e année), ses amis virtuels lui suffisent pour le moment. Il joue à des jeux vidéo en réseau. Il a aussi lancé sa chaîne YouTube.
« C’est vraiment cool, l’école virtuelle. J’ai autant d’amis qu’à mon école, et j’ai plus de temps pour “gamer” », dit Herman.
En prime, il n’y a aucun doute sur la qualité de l’air dans la maison, souligne Sophie Roy. Et la famille échappe aux fermetures de classe frappées par des éclosions de COVID-19.
Un projet emballant
La professeure Isabelle Forget, de Valleyfield, confirme que les élèves s’adaptent de façon « formidable » à l’enseignement à distance. Elle n’a jamais regretté son choix de se joindre à l’école virtuelle, ce qui lui a été fortement conseillé par son médecin pour des raisons de santé.
« Je n’aurais jamais pensé à me retrouver en enseignement virtuel. Quand on a commencé l’an dernier, je ne connaissais rien là-dedans. Mais c’est tellement motivant que je vais continuer tant que ce sera possible », raconte-t-elle.
Elle est témoin de « petits miracles » quotidiens : des élèves en difficulté qui finissent par réussir. Des enfants autrefois anxieux qui sont à l’aise devant leur écran. Les parents sont engagés dans la réussite de leurs enfants. Elle a du temps à consacrer individuellement à chacun de ses 23 élèves. Un des défis consiste à limiter le temps de travail : il lui arrive de répondre à des questions d’élèves en soirée.
« On a un fort sentiment d’appartenance. J’ai l’impression qu’on est en train de bâtir quelque chose d’important. Si mes enfants aujourd’hui adultes étaient au primaire ou au secondaire, je serais la première à les envoyer à l’école virtuelle », dit Isabelle Forget.
Les interactions, le lien direct avec leurs enseignants et l’ensemble du personnel, ainsi que leurs amis, jouent un rôle essentiel dans leur développement et dans leur réussite. L’école constitue également un important filet de sécurité sociale.
Une présence nécessaire
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, dit être sensible aux arguments des parents, mais il garde le cap sur la présence en classe obligatoire, sauf évidemment pour les périodes, comme au début du mois de janvier, où la Santé publique recommande l’enseignement à distance.
L’Association des pédiatres et la Santé publique jugent que « les dangers associés à la non-fréquentation scolaire [sont] plus importants, pour les enfants, que ceux liés à la COVID-19 », fait valoir Florent Tanlet, attaché de presse du ministre.
« Les interactions, le lien direct avec leurs enseignants et l’ensemble du personnel, ainsi que leurs amis, jouent un rôle essentiel dans leur développement et dans leur réussite. L’école constitue également un important filet de sécurité sociale », ajoute-t-il.
Steve Bissonnette, professeur au Département d’éducation de la TELUQ, estime que le ministre prend la bonne décision en obligeant la présence en classe tant que la Santé publique le permet. L’enseignement virtuel est une « solution de dernier recours » à mettre en place uniquement en cas de crise, prévient-il.
Les études scientifiques démontrent hors de tout doute que des enfants de partout dans le monde ont souffert de l’enseignement à distance depuis le début de la pandémie. Plus important encore, les écoles virtuelles mises en place depuis une vingtaine d’années aux États-Unis sont un « désastre », selon lui.
« Ça fait vingt ans que les États-Unis essaient l’école virtuelle et ça fait vingt ans que ça ne marche pas », dit Steve Bissonnette. Le taux de diplomation baisse de 10 % en mode virtuel. Les élèves prennent un retard de cinq mois par année dans leurs apprentissages. L’isolement leur fait perdre des aptitudes sociales et peut mener à des troubles de santé mentale.
« Plus l’école est fermée longtemps, plus les dégâts sont graves, dit-il. L’école virtuelle est peut-être bonne pour certains, mais la science conclut quand même que c’est négatif sur tous les plans. »