S.O.S. de parents en détresse

Gabrielle Dumoulin est épuisée. Cette mère de trois enfants a vidé sa banque de vacances et de congés de maladie pour s’occuper des petits, qui doivent s’absenter de l’école ou du service de garde à cause de la pandémie. Entre les fermetures de classes dues aux éclosions de COVID-19, les tests de dépistage, les périodes d’isolement et la grève des éducatrices en centre de la petite enfance (CPE), elle n’a plus aucun temps libre.
Elle et son conjoint doivent travailler les soirs et les fins de semaine pour reprendre le temps consacré aux enfants. « On n’a plus de vie personnelle. C’est difficile. On choisit d’être parent au foyer ou d’avoir un travail à temps plein, mais on ne peut pas faire les deux ! » lance Gabrielle Dumoulin en soupirant.
Cette mère fait partie d’un groupe de plus de 1000 parents qui ont signé une lettre demandant au gouvernement Legault de régler au plus vite les négociations avec les éducatrices des CPE. Les signataires appuient les revendications des éducatrices qui prennent soin de leurs enfants, mais la grève est la cerise sur le gâteau, après une année et demie de bouleversements dus à la pandémie.
« Si le virus est là pour rester, les mesures COVID ne peuvent pas durer comme ça. Si c’est ça notre nouveau quotidien, de s’occuper des enfants à la maison en travaillant à temps plein, ça va prendre au moins 40 jours de congé de maladie par année », dit Gabrielle Dumoulin.
La Montréalaise ne compte plus le nombre de jours passés à travailler à distance à la maison, entourée d’un, de deux ou de trois enfants qui ont besoin d’attention. Son conjoint, étudiant en enseignement, fait son stage dans une école. S’il manque plus de quatre jours en classe, son stage ne sera pas validé. Impossible pour lui de se libérer pour s’occuper des enfants à la maison.
Leur garçon de 3 ans a passé tellement de tests de COVID-19 qu’il commence à pleurer dès qu’il aperçoit le stationnement du centre de dépistage. Cette famille n’est pas la seule à côtoyer le virus : 964 écoles québécoises (près du tiers du total) comptaient au moins un cas actif de COVID-19 en date du 30 novembre. Ce jour-là, 3561 élèves ou membres du personnel avaient une infection confirmée ; 654 classes et 21 écoles étaient fermées à cause du virus.
Plus de 60 % des éclosions frappent dans les écoles ou les services de garde. Si la première vague a dévasté les résidences pour personnes âgées, les jeunes familles sont les plus touchées par la quatrième vague qui continue de déferler sur le Québec.
Mot d’ordre : flexibilité
La santé mentale des parents a grandement souffert de la pandémie, constate Bertrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Père de deux enfants en bas âge, il a lui-même vécu les contrecoups des fermetures de classe et de CPE dues aux éclosions de COVID-19.
Le télétravail avec un enfant isolé à la maison fait partie des nouvelles habitudes héritées de la pandémie. Le chercheur est convaincu que les entreprises devront s’adapter à cette réalité en offrant davantage de congés « sociaux » aux employés.
« On assiste à un changement de paradigme, dit-il. La conciliation travail-famille va devenir très importante. La pénurie de travailleurs a aussi changé la donne : les employeurs qui restent avec la même vieille mentalité ne trouveront pas d’employés. »
Les entreprises qui résistent à se montrer plus flexibles sur les journées de congé risquent d’en payer le prix, estime Bertrand Schepper. Le nombre d’absences pour maladie de longue durée augmenterait sans doute, ce qui entraînerait une hausse des primes d’assurance.
Les employeurs croisent les doigts pour que la vaccination des jeunes enfants — et une possible troisième dose pour les adultes — ramène une certaine normalité malgré les variants plus contagieux. Les employés, du moins les parents de jeunes enfants, rêvent aussi à des jours meilleurs.
Moins de productivité
« On est constamment en adaptation à cause de la pandémie. C’est épuisant. Toutes les facettes de la vie sont plus complexes », raconte Roxanne Lorrain, mère de quatre enfants âgés de 22 mois à 10 ans. Deux d’entre eux fréquentent un CPE, les autres vont à l’école.
Avec la succession de classes fermées, de tests de dépistage de la COVID, d’isolement préventif et de jours de grève, il y a presque toujours au moins un enfant à la maison, souligne la mère de famille. Elle s’estime chanceuse de pouvoir travailler à distance dans le milieu communautaire. Elle pense aux travailleurs d’usine, aux caissières d’épicerie et à tous les autres qui doivent sortir de la maison pour gagner leur vie. Pas évident pour eux de s’occuper de leurs enfants qui ne peuvent aller à l’école ou au CPE.
« Il faut réfléchir à des solutions collectives pour améliorer la conciliation travail-famille, croit Roxanne Lorrain. Les parents ont besoin de temps avec leurs enfants sans être pénalisés financièrement. On doit accepter, comme société, qu’il y ait des moments où on est moins productifs par rapport au PIB [produit intérieur brut]. »
Avec la hausse du coût de la vie, la plupart des familles n’ont pas les moyens de réduire leur temps de travail, souligne-t-elle. La simplicité volontaire — consommer moins pour travailler moins — devient souvent de la simplicité involontaire pour les travailleurs à petit salaire.
Geneviève-Aude Goudreault, mère d’enfants de 3 et 5 ans, a choisi de travailler à temps partiel pour refaire le plein d’énergie. La pandémie a chambardé ses plans : « Je suis continuellement en sprint pour gérer les changements d’horaire dus à la COVID. Ça n’arrête plus depuis deux mois ! »
Kinésiologue, elle ne peut faire de télétravail. Son conjoint est en train d’épuiser ses banques de congés. Le couple travaille les soirs et les fins de semaine pour se garder quelques jours de vacances. « La crise de la COVID n’est pas finie. On devra prendre des vacances, on a besoin de repos. »
Québec s’impatiente devant la grève
La grève illimitée lancée mercredi dans 400 centres de la petite enfance (CPE) dérange la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, qui dénonce une méthode « déplorable » à ce stade des négociations. En procédant par « GGI », ils utilisent « le moyen le plus fort à [leur] disposition », a-t-elle observé en conférence de presse mercredi. « On n’en est pas là, a-t-elle dit. On a fait des avancées majeures dans ce dossier-là. Le gouvernement a fait trois pas massifs dans les négociations. » La ministre LeBel a insisté sur le fait qu’elle offrait jusqu’à 30 $ l’heure, au maximum de l’échelle salariale, aux éducatrices des CPE. Ce qui équivaut à 23 % d’augmentation, a-t-elle souligné. Mais la question, maintenant, est surtout le salaire des « autres » travailleurs des CPE, à savoir ceux de la cuisine, de l’administration et de l’entretien. Là-dessus, la ministre s’est montrée catégorique : « Je ne peux pas faire le même effort pour les autres employés que j’ai fait pour les éducatrices. » En mêlée de presse à Québec en matinée, le premier ministre, François Legault, a maintenu que son gouvernement ne miserait pas sur une loi spéciale pour ramener les éducatrices dans les CPE. Il n’a pas voulu confirmer s’il excluait définitivement cette possibilité.
François Carabin