Les cégeps refusent de perdre le DEC en soins infirmiers

Rabéa Kabbaj
Collaboration spéciale
Le programme de soins infirmiers est offert dans 46 des 48 établissements du réseau collégial public du Québec.
Nathan Denette La Presse canadienne Le programme de soins infirmiers est offert dans 46 des 48 établissements du réseau collégial public du Québec.

Ce texte fait partie du cahier spécial Enseignement supérieur

Alors que l’on peine toujours à résorber la pénurie de main-d'œuvre en soins infirmiers, les cégeps ne comprennent pas la volonté de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) de faire du baccalauréat la seule voie d’accès à la profession. Plaidant en faveur du maintien du caractère professionnalisant du DEC en soins infirmiers, ils exhortent le gouvernement à clore un débat qui dure depuis des années, en prenant fait et cause pour ce programme, dont ils vantent les nombreux avantages.

« Le débat en cours amène des jeunes à se questionner : est-ce que je choisis cette profession sans savoir si mon [DEC] sera reconnu à sa pleine valeur ? C’est un débat stérile et contre-productif. Avec tout ce qu’on vit présentement, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de prise de position ferme de [Christian] Dubé et surtout de [Danielle] McCann, qui est notre ministre, sur ce sujet », plaide Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps.

Selon lui, le marché du travail est d’ailleurs loin de se plaindre de ces infirmières techniciennes. « Au contraire ! Les dernières vérifications faites témoignaient d’un niveau de satisfaction élevé. Il y a aussi un taux d’obtention de l’examen de l’Ordre qui est très élevé pour les techniciennes », souligne-t-il.

À ses yeux, les réserves à l’égard du DEC sont d’autant plus difficiles à comprendre que cette formation s’inscrit dans une longue tradition. « Depuis leur création, les cégeps forment des infirmières. C’est souvent des écoles d’infirmières qui ont donné naissance aux premiers cégeps. C’est un corps professoral très expérimenté, à l’affût des nouvelles tendances, et qui est partout sur le territoire. Ainsi, 46 des 48 cégeps forment des infirmières au Québec. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, l’accessibilité aux études, c’est aussi la clé de l’accessibilité à des infirmières qualifiées partout sur le territoire québécois », fait valoir M. Tremblay.

Trois cursus envisageables

 

À l’heure actuelle, trois voies d’études sont possibles pour accéder au marché du travail : le DEC (en 3 ans), la formule DEC-BAC (en 5 ans) — qui attire 46 % des étudiantes en soins infirmiers des cégeps — ou le baccalauréat en sciences infirmières. Si la formule DEC-BAC est très intéressante, M. Tremblay croit qu’il importe malgré tout de continuer à permettre aux infirmières d’accéder au marché du travail dès la fin de leur DEC.

« Même si une personne désire dès le départ s’inscrire dans un processus en continu, il faut que son DEC soit qualifiant et qu’elle puisse se dire qu’elle a un diplôme qui lui permet de travailler, si elle doit, par exemple, faire une pause dans ses études », indique le président de la Fédération des cégeps.

Pour M. Tremblay, chaque formation présente ses spécificités. « Je mets en doute la capacité des universités à bien former des infirmières sur le volet technique. […] Ce n’est pas une hiérarchisation, mais simplement deux approches qui sont différentes. J’ai plein de témoignages d’infirmières techniciennes disant être obligées d’aider des bachelières qui arrivent dans le milieu de travail parce qu’il y a clairement certaines lacunes. C’est pour cela que la formule DEC-BAC est très intéressante. Mais il faut reconnaître qu’il y a une place claire, nécessaire et importante pour les infirmières qui ont une formation technique », déclare Bernard Tremblay.

Pas de temps pour le débat face aux besoins criants

 

De l’avis de Sylvain Blais, directeur général du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, le débat actuel est hors de propos dans un contexte de manque crucial de ressources. « Si l’on me dit que l’on va se mettre à se chicaner là-dessus, alors qu’il y a des gens dans ma région qui doivent faire 130 km pour accéder à une salle d’urgence, alors je vais dire qu’on n’est pas en train de faire le bon choix », relève-t-il.

Dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre, l’accessibilité aux études, c’est aussi la clé de l’accessibilité à des infirmières qualifiées partout sur le territoire québécois

 

Pour aider à pallier ce manque de main-d’œuvre, son cégep accueillera en 2022 deux cohortes successives de 40 infirmières chacune, venant de l’étranger, et qui recevront une mise à niveau d’une durée de 9 à 14 mois. « Ces deux cohortes seront réparties sur tout notre territoire, de façon à s’assurer que ces infirmières puissent prendre racine tout de suite dans la MRC dans laquelle les besoins sont criants. J’ose espérer que ça ne s’arrêtera pas à 80, parce que nos besoins sont de l’ordre de 250 à 300 infirmières. Or les infirmières de l’Abitibi-Témiscamingue qu’on est en mesure de recruter — ou plus généralement celles qui, au Québec, sont prêtes à venir dans notre région — ne nous permettront jamais d’atteindre le niveau manquant », explique M. Blais.

Dans cette perspective, estime-t-il, l’heure est venue de clarifier les choses, et ce, aussi pour que les futures infirmières que le gouvernement espère recruter à l’étranger puissent décider en toute connaissance de cause. « Ce qu’on leur donne comme formation, sous l’égide de l’Ordre, c’est une attestation d’études collégiales pour faire la mise à niveau et s’assurer que les éléments qu’elles ont appris dans leurs pays, et qui seraient différents, se feront correctement ici. S’ils ont l’intention de dire que ce sera dorénavant un baccalauréat, je pense qu’on devrait le dire tout de suite aux futures 4000 [infirmières] que le ministre annonce vouloir aller recruter à l’international », conclut Sylvain Blais, non sans s’inquiéter qu’un hypothétique changement des exigences puisse amener les futures candidates à y regarder à deux fois avant de se décider à faire le saut.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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