«Malaise» autour du nouveau cours de citoyenneté

Le processus de mise en place du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise provoque un « malaise » parmi les experts et les enseignants mandatés pour créer le programme, qui se sentent « instrumentalisés » à des fins politiques par le gouvernement Legault.

Selon ce que Le Devoir a appris, deux des cinq membres du comité de rédaction du programme ont démissionné au cours des dernières semaines. Des experts d’un autre comité, chargé celui-là de « valider » le contenu, envisagent de démissionner à leur tour devant la tournure jugée « partisane » de l’implantation du cours.

La fonctionnaire du ministère de l’Éducation qui était responsable du programme, Marie-Noëlle Corriveau-Tendland, a remis sa démission en mai dernier. Elle estime que la fonction publique « n’est plus un rempart administratif contre les interventions politiques ».

« Je sentais que pour satisfaire un ministre, on devait modifier le contenu d’un programme d’études. Ça m’a heurtée dans mes valeurs. Quand je suis allée au ministère, j’allais travailler pour l’État et non pas pour le gouvernement », dit Marie-Noëlle Corriveau-Tendland au Devoir.

Elle considère « normal » qu’un ministre cherche à influencer le processus menant à la révision d’un programme. Après tout, il a été élu pour gouverner. La machine administrative doit cependant s’assurer de respecter les façons de procéder afin de « dépolitiser la pédagogie ».

« Les experts trouvent bizarre qu’il y ait des annonces de faites avant même la fin des validations normales du programme », dit l’ex-fonctionnaire, devenue conseillère pédagogique dans un cégep.

Le nouveau programme remplacera le cours Éthique et culture religieuse (ECR), créé en 2008 dans la foulée de la déconfessionnalisation des écoles. Le cours remanié réduit la place des religions et accorde davantage d’importance à la citoyenneté, à la culture ainsi qu’à la laïcité, thème central de l’action gouvernementale depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec (CAQ), en 2018.

Un engagement politique

 

L’annonce de ce nouveau programme, dimanche, avait des allures d’événement préélectoral. Trois personnalités (Dany Turcotte, Pierre Curzi et Ingrid Falaise) sont venues vanter les vertus du cours amélioré. Dans une vidéo diffusée lors de la conférence de presse, huit ministres et le premier ministre défilent à l’écran pour expliquer que ce programme contribuera à un « Québec fier ».

« On se sent en pleine campagne électorale », déplore une source bien informée des tractations entourant la naissance du cours. Cette personne a demandé à garder l’anonymat par crainte de représailles.

« On parle ici d’un simple cours offert au primaire et au secondaire, mais le gouvernement nous décrit quasiment comme les sauveurs de la société québécoise », lance une autre source qui n’est pas autorisée à parler publiquement.

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, se défend de faire de la politique sur le dos des élèves. « La refonte du cours d’ECR était un engagement de notre gouvernement. Il était normal d’en faire l’annonce. En aucun temps il n’est question de politiser l’enseignement des élèves », indique Jean-François Del Torchio, attaché de presse du ministre.

« Les thèmes qui seront abordés lors de ce programme ne sont aucunement politiques, mais bien des thèmes qui reflètent la réalité quotidienne des élèves, comme les institutions démocratiques, le système judiciaire, l’environnement, l’éducation à la sexualité, la culture, etc. », ajoute-t-il.

« Déjà depuis dimanche, plusieurs enseignants nous ont contactés pour participer à l’élaboration du cours. Ils veulent contribuer », précise le représentant du ministre.

Cap sur les élections

 

De vastes consultations du milieu de l’éducation ont bel et bien eu lieu à partir de janvier 2020, mais le ministre Roberge a écarté à ce jour les opinions contraires à son projet, indique Marie-Noëlle Corriveau-Tendland.

En privé, des experts et des enseignants disent constater eux aussi que le gouvernement Legault cherche à mettre en avant sa vision politique de la nation québécoise. Cette vision n’est pas nécessairement mauvaise, selon nos sources. Certaines personnes y sont favorables, mais le réseau scolaire doit s’élever au-dessus de la mêlée pour produire un programme pédagogique exempt de partisanerie, souligne-t-on.

Une autre membre du comité de rédaction du nouveau cours, enseignante au secondaire, a récemment remis sa démission. Il ne reste ainsi que trois des cinq membres originaux du groupe chargé de pondre la nouvelle version du programme.

 

Selon nos informations, des membres du comité de validation — l’étape suivant la rédaction — s’interrogent à leur tour sur la suite de leur engagement. Ce groupe d’une quinzaine d’experts ne s’est réuni qu’une seule fois, en juin dernier. Il n’a eu accès qu’à un résumé de quatre pages du projet de programme.

L’identité des membres de ce groupe est tenue secrète. Tous ont dû signer une entente de confidentialité. La prochaine réunion du comité est prévue pour vendredi. Le cours Culture et citoyenneté québécoise doit encore être peaufiné avant son entrée en vigueur à la rentrée 2023, a expliqué le ministre Roberge. Des projets pilotes doivent avoir lieu à la rentrée 2022.

Mélanie Dubois, chargée de cours en formation des enseignants à l’Université du Québec à Montréal, a l’impression que le gouvernement veut accélérer la mise en place du nouveau programme avant les élections prévues dans un an, en octobre 2022. Elle trouve aussi « décevant » qu’aucun enseignant n’ait été invité à l’annonce du programme par le ministre, dimanche.

 

En privé, des experts
et des enseignants disent constater eux aussi que
le gouvernement Legault cherche à mettre en avant sa vision politique de la nation québécoise. Cette vision n’est pas nécessairement mauvaise, selon nos sources.

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