Le triste sort d'un million de Québécois
Établie en 1965 par l'Unesco, la Journée internationale de l'alphabétisation, tenue le 8 septembre, démontre incontestablement une volonté certaine et résolue de l'ONU de combattre l'analphabétisme. Près de 40 ans plus tard, qu'en est-il? Mission accomplie? Portrait de l'analphabétisme, une réalité toujours bien vivante.
Entre 1994 et 1998, une vaste enquête — l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes (EIAA) — a été effectuée. L'objectif: établir des comparaisons valables au sujet des compétences de lecture. L'échantillon retenu comprenait des adultes âgés de16 à 65 ans, répartis dans 22 pays et parlant 15 langues différentes. Le Canada faisait parti du lot.
Les chiffres qui en sont ressortis méritent notre attention. Au Québec, selon l'EIAA, environ un million de personnes dans la tranche d'âge étudiée éprouvent d'importantes difficultés de lecture et d'écriture. Il faut néanmoins avoir certaines réserves à l'égard des chiffres avancés car l'échantillonnage québécois était faible.
Par ailleurs, les chiffres les plus récents sur lesquels on puisse s'appuyer pour avoir une idée du degré d'analphabétisme au Québec et au Canada sont ceux portant sur la scolarité. Ceux-ci découlent du recensement canadien de 2001.
On y indique que le Québec compte environ 468 000 personnes âgées de 15 à 64 ans qui ont moins de neuf ans de scolarité. Le nombre augmente à 883 000 si on y inclut les personnes qui franchissent la barre des 65 ans. Toutefois, ces données peuvent uniquement être perçues comme un indicateur de l'analphabétisme et non comme une représentation exacte de la situation, car ils ne portent pas exclusivement sur le sujet.
Ces deux évaluations servent pour l'instant de repères pour des organisations comme la Fondation pour l'alphabétisation (FA). Même si les statistiques qui ressortent des études diffèrent, la FA arrive à la conclusion suivante: «On estime donc que de 468 000 à un million de Québécois pourraient bénéficier d'une formation de base. Au Canada, environ 22 % des adultes âgés de 16 ans et plus se classent au niveau le plus faible en matière de capacités de lecture.»
Quelques caractéristiques...
En s'appuyant sur la scolarité en tant qu'indicateur de l'analphabétisme, il est possible de relever certaines caractéristiques. Entre autres, le nombre de Canadiens âgés de plus de 65 ans n'ayant pas terminé leur primaire se situe à 40 %. Un rapide coup d'oeil aux 26-35 ans nous informe que 4 % d'entre eux ne terminent pas leur primaire.
Malgré tout, contre toute attente, on retrouve un nombre considérable de jeunes faiblement alphabétisés. Selon l'EIAA, 11 % des jeunes de 16 à 25 ans éprouvent des difficultés importantes à lire des textes suivis.
De plus, une étude menée en 1992, et qui portait sur la même tranche d'âge, avait mis en perspective le fait que 85 % des jeunes arrivaient au secondaire avec un retard scolaire qui ne faisait, malheureusement, qu'augmenter.
Au Québec, environ le tiers des jeunes sortent du secondaire sans avoir obtenu leur diplôme, et près de 85 000 jeunes de 15 à 29 ans — dont les deux tiers environ sont des garçons — comptent moins de neuf années de scolarité. Cela représente un peu moins de 6 % de ce groupe d'âge.
Un autre facteur notable relatif à l'analphabétisme est la communauté linguistique à laquelle une personne appartient. Comme le note Régine Pierre, professeure au département des sciences de l'éducation à l'Université de Montréal, «au niveau international, le Canada se classe parmi les meilleurs à l'échelle globale car, entre les provinces, il y a d'énormes différences». Et cette différence se fait principalement sentir en fonction des groupes linguistiques qui composent les provinces.
Ainsi, le Québec compte davantage d'analphabètes que les provinces anglophones. «Les francophones ont un degré de "littératie" — compétence à la lecture et à l'écriture — nettement inférieur à ceux des anglophones», précise-t-elle.
Les facteurs à considérer pour expliquer cette réalité proviennent essentiellement d'aspects linguistiques, culturels et religieux, ainsi que de l'immigration des populations au fil des siècles. L'histoire de la province permet d'observer que les populations immigrantes francophones viennent principalement de zones moins scolarisées.
L'EIAA corrobore l'écart entre les deux groupes linguistiques. Selon l'enquête, 13 % des anglophones canadiens sont classés au niveau 1 sur l'échelle des textes suivis, comparativement à 25 % pour les francophones.