La Jarnigoine plaide pour une information accessible à tous

Caroline Rodgers
Collaboration spéciale
Une visite chez le médecin peut devenir un casse-tête pour les personnes avec un faible taux de littératie, d'où l'importance de simplifier les communications s’adressant au grand public.
Photo: iStock Une visite chez le médecin peut devenir un casse-tête pour les personnes avec un faible taux de littératie, d'où l'importance de simplifier les communications s’adressant au grand public.

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation

Au sein des organismes en alphabétisation, le travail va bien au-delà du simple apprentissage de la lecture et de l’écriture. C’est le cas de La Jarnigoine, centre d’alphabétisation situé dans Villeray, qui milite pour une simplification des communications s’adressant au grand public, dans le but d’aider les personnes ayant un faible taux de littératie à mieux naviguer à travers les divers services indispensables à leur vie quotidienne, dont les services de santé.

« C’est notre premier cheval de bataille, dit Amélie Bouchard, animatrice en alphabétisation depuis 16 ans à La Jarnigoine. Chez nous, les gens viennent apprendre à lire et à écrire pour avoir plus de pouvoir sur leur vie, sur la société, donc c’est aussi une école de citoyenneté. Avec les années, on s’est mis à accompagner nos participants dans différentes luttes qu’ils menaient pour leurs droits, dont le logement et l’alimentation. À travers tout cela, l’accès à l’information a émergé comme un enjeu important, car ces personnes le vivent plus fortement que le reste de la population. »

Au départ, ce sont les soins de santé que les participants ont mentionnés comme cible. Interrogé pour savoir quels aspects de sa vie il aimerait améliorer, un participant aux cours d’alphabétisation avait répondu : « Moi, j’aimerais ça, comprendre mon médecin. »

« C’est ce qui nous a lancés dans cette lutte, explique Amélie Bouchard. Nous avons d’abord rédigé des lettres de sensibilisation individuelles aux médecins, mais nos participants étaient trop gênés de leur remettre. Par la suite, nous avons lancé des projets collectifs, dont une vidéo intitulée Bongour docteur réalisée par les participants. »

Le message de Bongour docteur est simple : lorsqu’un médecin parle à un patient qui a un faible niveau d’alphabétisation, ce dernier ne le comprend pas. Depuis neuf ans, la vidéo est présentée aux étudiants de première année en médecine de l’Université de Montréal dans le cadre du cours de communication entre patients et médecins.

On ne sait jamais qui on a devant nous

 

La Jarnigoine a également produit des outils virtuels sur le corps et la santé destinés à sa clientèle. Un module traite du système digestif, un autre des vaisseaux sanguins et des maladies cardiovasculaires. On y explique notamment le fonctionnement des organes en termes très simples : « Comment est fait le cœur ? Le cœur est séparé en deux moitiés. Ces deux moitiés n’ont aucun contact entre elles », peut-on lire.

« Par la suite, nous avons continué avec d’autres vidéos, une série intitulée Simple comme bonjour, qui s’adresse à d’autres professionnels, comme les intervenants sociaux ou le monde juridique, en les sensibilisant pour qu’ils comprennent que c’est 53 % de la population, au Québec, qui n’a pas un niveau de littératie optimal, souligne l’animatrice. On ne sait jamais qui on a devant nous, et on doit utiliser un langage le plus clair possible pour tous. »

53 %

C’est le pourcentage de la population québécoise qui n’a pas un niveau de littératie optimal.

Avec la pandémie de COVID-19, cet enjeu de communication s’est d’ailleurs intensifié.

« Les informations que l’on donne à la population sont très complexes, et sources d’angoisse, continue-t-elle. Les gens se sont mis à suivre davantage l’actualité à cause de la COVID-19. Dans les groupes d’alphabétisation, on accompagne nos participants pour décortiquer ce qui se passe. C’est devenu une question de survie. »

Critiques et préoccupations

 

Avec une quinzaine d’intervenants communautaires et de chercheurs, La Jarnigoine a créé la coalition Communic’Action, qui se penche sur l’importance des communications accessibles en santé publique et effectue des démarches auprès des instances gouvernementales concernées.

Devant cette approche, certains observateurs s’inquiètent cependant d’un possible appauvrissement de la langue.

« La simplification des communications est souvent vue comme un nivellement vers le bas, dit Amélie Bouchard. L’image que je propose comme comparaison est celle de la rampe d’accès pour les personnes handicapées. On ne dit pas que toutes les communications, en tout temps, doivent utiliser un langage simple. Il faut tenir compte du public cible. Si on s’adresse au grand public, l’objectif est de se faire comprendre. C’est une question d’efficacité et d’utilité, comme dans le cas de la rampe d’accès. Si on n’adapte pas notre langage, la partie de la population la plus exclue, la plus marginalisée, va le rester. Un langage simple n’est pas nécessairement un langage enfantin. Il permet aussi d’expliquer des concepts complexes. Quand on maîtrise bien notre sujet, tout peut s’expliquer par des mots simples, mais cela demande une préparation et une réflexion. Quand on est habitué à utiliser un jargon, on oublie parfois que celui-ci n’est pas accessible à tout le monde. » 

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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