Revenir sur le campus de l'université ou rester à distance

Certains cours théoriques se feront à distance à l’Université Concordia.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Certains cours théoriques se feront à distance à l’Université Concordia.

Martine Chapdelaine croyait en avoir fini avec l’enseignement à distance. L’étudiante en arts visuels à l’Université Concordia a eu la surprise de sa vie en voyant l’horaire de la session d’automne : tous ses cours sont en ligne avec certaines activités optionnelles en classe, malgré la directive de Québec d’un retour en présence sur les campus. Découragée, elle a renoncé à ses études.

Un an et demi après le début de la pandémie, l’enseignement virtuel se poursuit dans certaines facultés universitaires. En pleine émergence de la quatrième vague, c’est d’abord une question de santé. Mais les partisans de l’enseignement hybride affirment qu’ils ne voudraient pas revenir au monde « d’avant ».

Un débat enflammé divise les universités. D’un côté, les partisans de mesures sanitaires renforcées, comme le passeport vaccinal et l’enseignement virtuel. De l’autre, ceux qui jubilent en se préparant à revenir en classe avec les mesures sanitaires actuelles, quitte à côtoyer le virus.

« Le gouvernement a donné le mot d’ordre d’un retour sur les campus. Je ne peux pas imaginer de suivre des cours à distance 19 mois après le début de la pandémie. Je trouve ça révoltant », affirme Martine Chapdelaine.

Cette retraitée de 61 ans avait hâte de revenir sur les bancs d’école à l’Université Concordia. Pas question pour elle de rester en enseignement virtuel. Elle abandonne ses études. Elle se désole pour les jeunes qui sont pris une fois de plus avec des cours sur Zoom.

« Les cours d’arts visuels, c’est en atelier que ça se passe, explique-t-elle. Il faut toucher la matière. La sentir. Échanger avec les profs et avec les étudiants. Observer le travail des autres. Comparer. Tout cela est impossible devant un écran d’ordinateur à partir de chez soi. »

Un avenir hybride

 

Annie Gérin, doyenne de la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, comprend la frustration de son étudiante. Mais Martine Chapdelaine pourra venir suivre des cours pratiques en atelier, explique la doyenne. La majorité des formations théoriques de la Faculté des beaux-arts restent à distance, mais 85 % des cours offriront certaines activités optionnelles en présence.

Pourquoi les cours théoriques restent-ils virtuels ? « À cause de la situation sanitaire. Il y a beaucoup de contacts dans les cours d’arts visuels. Les étudiants bougent constamment en atelier », explique Annie Gérin.

La décision de maintenir les cours théoriques en mode virtuel n’a pas été prise à la légère, précise-t-elle. Les ateliers en présence sont optionnels parce qu’un grand nombre de profs et d’étudiants craignent de revenir sur le campus. Plusieurs ont des problèmes de santé qui les rendent vulnérables à la COVID-19. Certains apprécient tout simplement l’enseignement à distance. D’autres se méfient de la quatrième vague qui s’annonce.

On se demande depuis au moins quinze ans si la façon traditionnelle de donner les cours est la meilleure

 

« Il est possible que la Santé publique décrète un retour de l’enseignement à distance au courant de l’automne. Des éclosions peuvent aussi entraîner des fermetures de classe. On ne se fera pas prendre au dépourvu comme en mars 2020 », dit Annie Gérin.

Elle estime probable que l’enseignement hybride reste en place pour une « période de transition ». Mais une portion des cours restera à distance à plus long terme : « On se demande depuis au moins quinze ans si la façon traditionnelle de donner les cours est la meilleure. J’ai l’impression qu’on s’en va vers un modèle hybride, même quand la pandémie sera finie. »

La formule hybride plaît à 272 professeurs et chargés de cours qui ont publié vendredi une lettre réclamant la liberté d’offrir ou de suivre des cours en ligne. L’incertitude entourant l’émergence du variant Delta justifie le principe de prudence, estime Denis Réale, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les signataires réclament un « plan d’urgence » pour renforcer les mesures sanitaires sur les campus, y compris la mise en place d’un passeport sanitaire.

« Les universités du Québec regroupent environ un demi-million de personnes qui ont des liens familiaux et d’amitié ou professionnels hors du milieu académique. Cette situation pourrait transformer nos universités en formidables milieux de culture du variant Delta et favoriser les probabilités de nouvelles mutations plus dangereuses, car plus infectieuses ou plus virulentes. Nous sommes tous impatients de retourner à l’université, mais cette impatience accompagnée d’un plan laxiste expose le Québec à un confinement général dans les prochains mois », indiquent les signataires.

Environ 15 % des étudiants ne sont pas vaccinés. Ça commence à faire beaucoup de monde pour un cours de trois heures dans des amphithéâtres bondés, sans réelle distanciation, à la ventilation incertaine, souligne Denis Réale.

Vivre avec le virus

 

Les gestionnaires de cégeps et d’universités voient les choses d’un autre œil : ils considèrent les taux de vaccination de 85 % extrêmement rassurants. Le passeport vaccinal est déjà requis pour certaines activités sportives ou artistiques. Le port du masque est obligatoire en tout temps. Le niveau de risque est contrôlé sur les campus, selon eux.

Le Dr Patrick Provost, professeur au Département de microbiologie-infectiologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval, va encore plus loin. « L’urgence sanitaire est passée et les mesures autoritaires de contrôle sont scientifiquement injustifiées », affirme-t-il sans détour.

Il note que la vaccination fonctionne : le nombre d’infections augmente, mais la vaste majorité des gens infectés s’en tirent sans séquelles. Le nombre de morts et d’hospitalisations reste beaucoup plus faible qu’au cours des premières vagues.

« Le virus devient endémique. On va devoir apprendre à vivre avec, parce qu’il n’est pas près de s’estomper, comme l’influenza, ajoute le professeur et chercheur. Je pense qu’il faut prendre un peu de recul. Il serait temps qu’on remette la démocratie sur les rails. »


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