Ces enfants trop dérangeants pour l’école

Marie Ismé a l’impression  que le système scolaire cherche à la décourager d’envoyer à l’école son fils Brandon, 17 ans, qui a un trouble du spectre  de l’autisme.
Marie-France Coallier Le Devoir Marie Ismé a l’impression que le système scolaire cherche à la décourager d’envoyer à l’école son fils Brandon, 17 ans, qui a un trouble du spectre de l’autisme.

Ce sont des enfants « différents », qui ne cadrent pas dans le moule de l’école. Dérangeants, souvent handicapés, parfois violents, perçus comme une menace, près de 1500 élèves étaient exclus de l’école et renvoyés à la maison cette année, malgré la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans. Les parents de ces élèves pas comme les autres vivent un véritable chemin de croix.

Un rapport inédit du ministère de l’Éducation lève le voile sur ce phénomène peu documenté des élèves en « bris de service ». Autrement dit, renvoyés chez eux. Avec de l’aide pédagogique ou psychosociale quelques heures par semaine, dans le meilleur des cas. Et ça se produit dès la maternelle.

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a été ébranlé par l’ampleur du problème. « Je n’accepte pas que les élèves soient laissés sans services à la maison. C’est quand même un nombre d’élèves important », dit-il au Devoir.

Il a demandé au ministère de recenser les meilleures pratiques pour maintenir la scolarisation de ces élèves extrêmement vulnérables. « Il faut offrir des services, idéalement à l’école, en étant conscients que ce sont des cas très, très, très difficiles. On doit aussi être ouverts à des solutions alternatives », ajoute le ministre Roberge.

En tout, 1481 élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire se trouvaient le 1er février 2021 dans cette situation de « bris de service », selon un vaste sondage mené par le ministère ; 64 centres de services scolaires et 5 écoles privées spécialisées ont répondu à cette rare collecte de données sur ce phénomène méconnu.

Je n’accepte pas que les élèves soient laissés sans services à la maison. C’est quand même un nombre d’élèves important.

 

Ces élèves sont généralement renvoyés à la maison parce qu’ils « représentent un danger pour eux-mêmes ou pour les autres ». Mais d’autres motifs liés à la pandémie peuvent être invoqués, comme « l’impossibilité de respecter les règles de distanciation physique et les gestes barrière, ou encore des risques graves posés par la condition médicale de l’élève ».

La pointe de l’iceberg

Cette consultation a été menée à la demande de la députée libérale Jennifer Maccarone, infatigable défenderesse des élèves dits « handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ». Mère de deux enfants autistes, elle se dévoue sans relâche pour faire améliorer les services aux élèves ayant des besoins particuliers.

« Ce rapport démontre qu’il y a un réel problème. La mission de l’école, c’est d’enseigner à tous les enfants. C’est la loi. Mais le réseau scolaire n’y arrive pas », dit-elle avec une pointe d’émotion dans la voix.

Jennifer Maccarone est « profondément déçue » du rapport, qui brosse un portrait sous-estimant l’ampleur du phénomène des élèves en bris de service, selon elle. Par exemple, l’enquête n’a pas compté les élèves « pour qui une scolarisation à temps partiel, convenue dans le cadre d’un plan d’intervention et de concert avec les parents, permet de répondre à un besoin ».

« La scolarisation à temps partiel convenue dans un plan d’intervention ? Ben voyons donc ! Le service le plus souvent offert à ces enfants est une demi-journée d’accompagnement par semaine. Ce n’est pas de la scolarisation. Même une heure par jour, ce n’est pas de la scolarisation », déplore Jennifer Maccarone.

Parcours du combattant

 

Les parents d’enfants victimes de « bris de service » sont épuisés. Marie Ismé a l’impression que le système scolaire cherche à la décourager d’envoyer à l’école son fils Brandon, 17 ans, qui a un trouble du spectre de l’autisme. Elle a dû l’encadrer à la maison durant plus de deux ans. Il avait été renvoyé de l’école spécialisée des Érables, à Deux-Montagnes, notamment parce qu’il se mutilait les doigts.

« Ils m’ont dit : “On n’est pas un centre hospitalier, sa place est à l’hôpital.” Mais mon fils n’est pas malade, il est autiste », dit la mère de famille de Terrebonne, en banlieue nord de Montréal.

Elle a renoncé à un poste à temps complet de préposée aux bénéficiaires pour s’occuper de Brandon. Elle travaille les fins de semaine.

Brandon est revenu à l’école à temps partiel, trois jours par semaine, à raison d’une heure et demie par jour, au début du mois d’avril. Et c’est plutôt difficile. Le garçon a tendance à fuguer. « Et il court vite », précise Marie Ismé.

Elle est convaincue que son fils, qui est Noir, est victime de racisme systémique. « On dirait qu’il fait peur aux gens. C’est sûr que si mon fils est en crise, il peut se démener. Il est fort. Mais il n’est pas agressif »

Le Centre de services scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles se défend de toute forme de racisme. « Il s’agit d’une situation complexe où plusieurs intervenants de différents milieux travaillent activement à la recherche de solutions pour répondre aux besoins de cet enfant », indique l’organisme. Ce processus vise aussi à « assurer un milieu sain et sécuritaire à l’ensemble des élèves et du personnel ».

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