Les bogues humains de l’enseignement à distance

Isabelle Delorme
Collaboration spéciale
La FNEEQ-CSN craint une généralisation de l’enseignement à distance, qui fragilise la relation entre les enseignants et leurs étudiants.
Photo: Matt Slocum Associated Press La FNEEQ-CSN craint une généralisation de l’enseignement à distance, qui fragilise la relation entre les enseignants et leurs étudiants.

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme

« L’enseignement palliatif », c’est la formule-choc employée par la FNEEQ-CSN pour dénoncer la transition numérique forcée de la profession enseignante. Le syndicat le plus représentatif de l’enseignement supérieur au Québec s’insurge contre la pérennisation d’une situation de crise qui doit rester exceptionnelle. En se servant de l’urgence sanitaire comme laboratoire, le gouvernement favorise un sentiment de perte de sens chez des enseignants, fragilisés par la déconnexion avec leurs étudiants, la précarité et l’émergence de nouvelles formes de violence à l’université.

« On ne sait jamais ce qui va arriver d’une semaine à l’autre », déplore Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), pour qui le gouvernement — « entiché du numérique » — doit mettre la concertation des enseignants au programme. Ces derniers rapportent un sentiment réel et continu de surcharge, alerte la présidente, citant un sondage réalisé auprès de 4000 enseignants, soit plus de 10 % des membres du syndicat. Dans le nouveau contexte imposé à toute vitesse, la préparation des cours et l’encadrement des étudiants demandent beaucoup de temps.

Il faut distinguer l’enseignement en mode non présentiel et la formation à distance, précise Mme Quesnel, rappelant que cette dernière n’a pas attendu la pandémie pour être proposée par des établissements d’enseignement supérieur dans des contextes favorables, avec une pédagogie et un équipement adaptés. Ce que la présidente dénonce, c’est la généralisation d’une solution d’urgence à long terme. « On essaie de nous imposer une transformation majeure de la profession enseignante de manière détournée », craint celle qui perçoit plusieurs éléments pointant une volonté de pérennisation, notamment le budget gouvernemental mobilisant des millions de dollars pour des solutions numériques à déployer à long terme.

Virage numérique : gare à la surchauffe

Pour la FNEEQ-CSN, l’enseignement comodal (cours en présence et à distance) est comme un shampooing et revitalisant « 2 en 1 », un mirage inefficace. « Partout on est en train d’équiper des classes en mode comodal, constate Caroline Quesnel. Or, on a fait la preuve que l’enseignement en classe et à distance fait appel à deux pédagogies différentes », lance celle pour qui cette formule laisse de côté certains étudiants, génère des frustrations et un éparpillement de l’enseignement.

On essaie de nous imposer une transformation majeure de la profession enseignante de manière détournée

 

« Imposer cette solution, c’est ne pas aimer les enseignants », dit la présidente. Sans oublier les étudiants. Selon l’enquête Derrière ton écran, menée par la Fédération étudiante collégiale du Québec auprès de plus de 6000 étudiants de cégeps ou de collèges privés, près de la moitié d’entre eux « n’ont pas du tout aimé » la formation à distance. Parmi eux, les personnes en situation de handicap sont particulièrement vulnérables.

Mme Quesnel compare l’« enthousiasme délirant » du gouvernement pour le numérique à l’engouement pour les tableaux blancs interactifs de Jean Charest, imposés au Québec en 2011 avant d’être abandonnés quelques années plus tard. Pour la présidente, l’incertitude sur la méthode de gestion des classes a également une incidence sur la précarité des enseignants, un enjeu majeur pour le syndicat. En particulier celle des chargés de cours à l’université, dont la situation s’est aggravée avec la pandémie. « Cette précarité s’accompagne de l’imposition de conditions de travail qui n’existaient pas auparavant », déplore la présidente, qui voit les affectations et les sentiments de sécurité et d’accomplissement des chargés de cours s’amenuiser à mesure que les tailles des groupes d’étudiants augmentent.

Une violence visible dans les universités

 

À défaut de se rencontrer sur les campus, les enseignants et étudiants communiquent par écrans interposés, ce qui n’offre pas un espace de dialogue et d’échange comparable à une salle de classe. « Les réseaux sociaux sont des haut-parleurs de la violence. Les étudiants y critiquent, malmènent ou attaquent des enseignantes et enseignants », déplore Mme Quesnel qui défend l’importance d’ouvrir les caméras pendant les cours à distance pour rétablir un environnement pédagogique plus sain et plus humain. Enseigner face à des cases noires s’apparente à une violence muette pour la profession.

La présidente estime que les administrations des universités sont indifférentes à ces problèmes. « Il y a un laisser-aller alors que le poids est très lourd à porter pour les enseignants », souligne celle pour qui ces derniers ont besoin de reconnexion avec leurs étudiants, car la distance a un impact physique et psychologique. « Allons au plus vite en présentiel en classe ! » implore Mme Quesnel.

La FNEEQ-CSN souhaite prendre sa place au cœur des réflexions qui touchent la transformation de la profession enseignante, mais sa présidente constate « un relâchement du gouvernement depuis janvier, avec une mise à l’écart ». Pourtant, les enseignants sont essentiels à la réussite des étudiants et Caroline Quesnel est convaincue d’une chose : « Les solutions ne sont pas exclusivement technologiques, mais doivent être humaines avant tout. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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