Un examen «inutile» dénoncé par des médecins

Les compétences liées au professionnalisme des médecins résidents sont déjà évaluées tout au long de leurs études postdoctorales par des médecins mandatés par les facultés de médecine, souligne le Dr Olivier Fortin.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les compétences liées au professionnalisme des médecins résidents sont déjà évaluées tout au long de leurs études postdoctorales par des médecins mandatés par les facultés de médecine, souligne le Dr Olivier Fortin.

Un examen obligatoire donnant le droit de pratiquer la médecine dans tout le Canada fait l’objet d’une vive contestation par les médecins résidents du Québec, qui dénoncent ce fardeau « inutile » et « impertinent » imposé à la fin de leur longue formation.

Selon ce que Le Devoir a appris, la tenue de cet examen a été annulée deux fois depuis le début de la pandémie à cause des mesures sanitaires. Le Conseil médical du Canada (CMC) a annoncé que l’examen sera offert en mode virtuel en mai et en juin 2021, mais les médecins résidents s’y opposent : selon eux, il est « tout à fait inapproprié » de tenir à distance un examen pratique de cette ampleur, censé évaluer les aptitudes des médecins à intervenir auprès de leurs patients.

Il s’agit en temps normal d’un examen d’une durée de près d’une journée, comportant une dizaine de stations où de faux patients simulent toutes sortes de situations susceptibles de se produire en milieu clinique. Pour se préparer à l’examen, les médecins résidents — qui traitent déjà des centaines de patients bien réels — doivent mettre de côté leur pratique pour quelques jours, en pleine pandémie.

Cette controverse liée à un examen virtuel en temps de pandémie a relancé les insatisfactions de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) envers cet examen, dont l’existence même est remise en question. « Ça fait plusieurs années qu’il y a de la grogne au sujet de cet examen. Pour nous, la COVID a exposé à quel point c’est un non-sens », dit le Dr Olivier Fortin, président de la FMRQ.

Les tests pour les futurs médecins sont quasiment devenus une industrie, déplore la FMRQ. Le Conseil médical du Canada a ainsi réalisé l’an dernier un profit de 5,7 millions de dollars grâce à cet examen pratique (revenus de 12 millions et frais de gestion de 6,3 millions), selon le rapport 2019-2020 du CMC.

Multiplication des évaluations

 

L’association regroupant 4000 médecins résidents du Québec réclame un moratoire de deux ans sur cet examen pancanadien et la création d’un comité d’experts pour en réévaluer la pertinence. La façon d’agir avec les patients est évaluée à de multiples reprises durant la formation des médecins résidents, bien avant l’examen contesté, appelé EACMC partie 2 : les aspirants médecins font un doctorat de quatre ou cinq années, suivies d’une résidence de deux ans (pour les médecins de famille), ou jusqu’à cinq ans, pour les spécialistes.

Les compétences liées au professionnalisme des médecins résidents sont déjà évaluées tout au long de leurs études postdoctorales par des médecins mandatés par les facultés de médecine, souligne le Dr Fortin. Leurs connaissances sont aussi évaluées à la fin de leur résidence par le Collège des médecins de famille du Canada ou par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, pour les 60 autres spécialités.

Un examen écrit appelé EACMC partie 1 (non contesté celui-là) fait aussi partie des exigences pour pouvoir pratiquer la médecine.

En bref, les médecins résidents estiment qu’ils n’ont pas besoin d’un énième examen pratique qui leur coûte 2500 $, pour exercer leur profession de surcroît dans tout le Canada. Ils considèrent cet examen comme une « tradition » qui n’a plus sa place dans la réalité d’aujourd’hui.

L’annulation de cet examen en raison de la pandémie a forcé le Collège des médecins du Québec à accorder des permis temporaires à 200 résidents pour leur permettre de pratiquer la médecine sans supervision. Environ 500 autres résidents de la cohorte de 2021 auront aussi un permis temporaire, selon la FMRQ.

Confiance du public

 

Le Collège des médecins du Québec (CMQ) est au courant des récriminations des médecins résidents, mais considère l’examen EACMC partie 2 comme une étape incontournable en vue d’accéder à la profession. « Les citoyens doivent légitimement s’attendre à ce que le Collège leur garantisse que les futurs médecins ont subi avec succès des examens visant à évaluer leurs compétences », indique le CMQ dans un courriel au Devoir.

« C’est l’un des seuls examens standardisés et homogènes pour tous les candidats, peu importe l’endroit de leur formation, qui évalue le comportement professionnel et les habiletés de communication des candidats. Il permet au Collège des médecins d’assurer entre autres l’équité, l’objectivité, la cohérence et l’impartialité de son processus relatif à l’admission à la profession. Cet examen est un complément et non une duplication des examens du Collège des médecins de famille (CMFC) et du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CR) », précise le CMQ.

Le Collège des médecins du Québec a confié depuis l’année 2001 au Conseil médical du Canada le mandat de mener les examens permettant d’accéder à la profession de médecin de famille (et depuis 2009 pour les spécialités). Le CMC « a une expertise unique reconnue mondialement pour assurer la validité de leurs examens. Des médecins québécois siègent sur les comités d’examens du CMC. Le Collège est d’avis qu’il s’agit d’une solution innovatrice et sécuritaire pour les patients simulés, les résidents, les médecins évaluateurs et le public ».

Le CMQ estime important que les médecins québécois soient évalués en fonction de normes nationales valides partout au Canada, notamment en raison de la mobilité de la main-d’œuvre. De son côté, la FMRQ s’étonne qu’une organisation québécoise de l’envergure du Collège des médecins s’en remette à un organisme pancanadien pour une certification dans le domaine de la santé — tandis que le gouvernement Legault a dénoncé la tentation du gouvernement Trudeau d’établir des normes nationales en matière d’hébergement des aînés, notamment.

Une firme américaine

 

Le Collège des médecins est convaincu que l’examen EACMC partie 2 peut être fait de façon « optimale » même à distance. Le Conseil médical du Canada a confié le mandat d’organiser cet examen à la firme américaine Education Management Solutions, filiale de Collegis, LLC.

« Auparavant offert intégralement en personne, l’examen virtuel offrira aux candidats des sessions d’examen plus fréquentes, ce qui réduira la nécessité pour les candidats de voyager ainsi que le risque d’annulation », a indiqué le CMC dans un communiqué, le mois dernier.

Des essais pilotes sont prévus au cours des prochaines semaines pour ce nouveau format de prestation à distance, en vue des examens en mai 2021. Le CMC souligne au Devoir qu’il évalue chaque année plus de 14 000 étudiants et diplômés en médecine au moyen de ses examens, qui sont offerts dans plus de 80 pays.

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