Il faut former les jeunes à l'innovation sociale

Catherine Couturier
Collaboration spéciale
Le 27 septembre 2019, près d’un demi-million de personnes, majoritairement des jeunes, ont défilé dans les rues de Montréal aux côtés de la militante Greta Thunberg.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Le 27 septembre 2019, près d’un demi-million de personnes, majoritairement des jeunes, ont défilé dans les rues de Montréal aux côtés de la militante Greta Thunberg.

Ce texte fait partie du cahier spécial Innovation sociale

Ce n’est que récemment que l’on a commencé à parler de la citoyenneté des enfants et des adolescents. « On peut faire un parallèle avec la citoyenneté des femmes. Ça a pris du temps avant qu’on reconnaisse les femmes comme citoyennes, parce qu’elles n’avaient pas le droit de vote », explique Stéphanie Gaudet, professeure en études sociologiques et anthropologiques à l’Université d’Ottawa. La même chose se produit avec les jeunes : comme ils n’ont pas le droit de voter, on a l’impression que ce ne sont pas des citoyens à part entière.

C’est avec la Convention relative aux droits de l’enfant qu’on a progressivement reconnu les droits propres aux enfants. « Ce sont des citoyens à part entière, mais bien sûr, ce sont des citoyens différents », poursuit Mme Gaudet. S’ils n’ont pas les mêmes expériences, ils ont tout de même quelque chose à dire. « Nous devons nous adapter pour mieux les intégrer aux consultations et aux décisions collectives. Le fait de les reconnaître comme citoyens, ça va nous permettre d’innover davantage et de mieux éduquer », affirme-t-elle. Car même si le taux de vote chez les jeunes électeurs est bas, les jeunes Québécois sont très engagés et informés, comme l’a révélé la venue de la jeune Greta Thunberg au Québec.

Des organismes porteurs de l’éducation à la citoyenneté

Si les élèves apprennent à l’école ce que sont les institutions et les règlements, c’est en dehors de ses murs qu’ils s’éduquent véritablement à la citoyenneté. La professeure Gaudet s’est intéressée aux organismes qui au Québec portent l’éducation à la citoyenneté à bout de bras. « C’est assez particulier, d’avoir autant d’organismes jeunesse. Il y a un écosystème qui soutient la participation des jeunes et leur citoyenneté », dit-elle.

Elle présentera les résultats de son projet de recherche partenariale lors du colloque du CRISES le 9 avril prochain, dans une conférence intitulée « Éduquer pour innover, innover pour éduquer les jeunes à la citoyenneté démocratique ». Cette recherche, menée en cocréation avec les partenaires du milieu communautaire, universitaire et scolaire dès 2017, a suivi six organismes au Québec : l’École d’été de l’Institut du Nouveau Monde (INM) ; le conseil municipal des jeunes de la Commission Jeunesse Gatineau ; Exeko et Magasins du Monde d’Oxfam ; le projet « Force des filles, force du monde » du Y des femmes de Montréal ; le comité des droits du Centre de pédiatrie sociale de Gatineau ; et le Forum jeunesse de Montréal/Table unifiée des étudiants de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Au fil d’ethnographies, la chercheuse a documenté ce que font ces organismes, leurs bons coups et leurs limites, pour comprendre quel type de citoyenneté est développé dans ceux-ci.

Sensibiliser et éduquer

 

Le comité des droits du Centre de pédiatrie sociale de Gatineau utilise l’éducation pour mieux soigner les jeunes. Ainsi, les pédiatres qui rencontrent des jeunes avec certaines difficultés ou qui font face à certains problèmes leur remettent une « prescription » : faire partie du comité des droits. Ce comité leur donne des outils, et leur fait comprendre qu’il y a des règles, mais qu’ils ont aussi des droits. Les jeunes y apprennent qu’ils ont du pouvoir sur ce qu’ils vivent :« Ça leur permet de changer des choses dans leurs milieux », souligne Mme Gaudet.

Comme [les jeunes] n’ont pas le droit de voter, on a l’impression que ce ne sont pas des citoyens à part entière

 

D’autres organismes visent une sensibilisation et une initiation à la participation citoyenne, comme l’École d’été de l’INM, qui accueille chaque été 350 jeunes Québécois de 15 à 35 ans. Les jeunes y sont accueillis comme citoyen, ont l’occasion de découvrir la toile d’organismes jeunesse et, peut-être pour la première fois, côtoient des adultes dans une relation d’égal à égal, et non dans une relation d’autorité.

Au-delà de la connaissance des institutions et de la participation (bénévolat, bons voisins), l’éducation à la citoyenneté démocratique a également une visée de transformation. Loin de l’innovation pour l’innovation, l’innovation sociale démocratique est portée par des collectivités et a des répercussions sur celles-ci. « Ça s’inscrit dans le désir d’une justice plus grande, de plus d’inclusion et d’un désir de care — prendre soin des gens, des milieux et de l’environnement », avance Mme Gaudet.

Des expériences authentiques

 

Les expériences vécues par les jeunes à travers ces organismes se démarquent donc par leur authenticité. Plus que des exercices de simulation (simulation d’élections, par exemple), ces expériences ont des retombées concrètes. Le projet « Force des filles, force du monde » veut notamment donner du pouvoir aux jeunes femmes, en leur laissant la liberté de choisir un projet en lien avec le féminisme (livre, documentaire, etc.) « Ce sont des projets où l’on donne beaucoup de liberté aux jeunes, et les adultes jouent un rôle de facilitateurs ; ça, c’est vraiment important », insiste Mme Gaudet. Ces facilitateurs sont là pour soutenir les jeunes, sans faire les choses à leur place.

Ces expériences de vivre-ensemble et de prise de décision collective peuvent aussi avoir une influence bien tangible. La Commission jeunesse Gatineau a par exemple influencé le service de police pour qu’il développe un programme pour encadrer l’intimidation dans les écoles. « Les jeunes ont pu prendre des décisions qui marquent concrètement le territoire », soulève Mme Gaudet.

Ces organismes fournissent donc des espaces pour expérimenter avec la démocratie et la citoyenneté. En effet, pour participer à changer les choses, on doit développer un sentiment d’appartenance. « C’est pour ça que ces organismes jouent un rôle important : ils essaient de créer ce lien de confiance », note Mme Gaudet.

À travers ces expériences qui développent l’expression de la citoyenneté, les jeunes deviennent acteurs de changements sociaux auprès des adultes, en les éduquant sur leurs droits. « Les jeunes sont des vecteurs d’innovation, si on leur en donne les moyens », rappelle la professeure.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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