«On naît de moins en moins francophone, mais on le devient de plus en plus»
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie
Selon les dernières estimations de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, la francophonie internationale se porte relativement bien avec une augmentation de 4,1 millions de francophones durant la dernière année, et la majorité de ces nouveaux interlocuteurs se trouvent en Afrique. Ainsi, si la tendance se maintient, près de 90 % de la jeunesse francophone sera africaine en 2050.
Le déplacement de la francophonie vers l’Afrique est un phénomène observé depuis une douzaine d’années, notamment grâce à de nouveaux investissements dans le système d’éducation francophone sur ce continent. Le Mali et la Côte d’Ivoire sont d’ailleurs dotés de systèmes d’éducation primaire, secondaire et universitaire qui se déploient presque entièrement en français.
« On naît de moins en moins francophone, mais on le devient de plus en plus », résume Richard Marcoux, professeur de sociologie à Laval et directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF). Autrement dit, les francophones de langue maternelle française diminuent en nombre, tandis qu’une proportion grandissante de personnes ayant une langue maternelle différente maîtrisent le français.
Non seulement la COVID-19 a influé sur les chiffres en engendrant une mortalité accrue, mais elle a également provoqué des effets collatéraux sur l’immigration internationale dans les lieux majoritairement francophones, un autre vecteur important de francisation.
La protection de la langue française doit être un effort collectif. Comme le vieil adage le dit, il faut un village pour élever un enfant.
Le Québec a par exemple accueilli 45 % moins d’immigrants que prévu, soit 25 000 au lieu de 45 000 personnes dans la période 2020-2021. La Belgique a aussi vu une baisse de 50 % d’immigrants. La France n’y a pas non plus échappé : 712 000 visas ont été délivrés en 2020, comparativement à 3,5 millions en 2019.
« L’immigration francophone dans ces pays n’a pas pu se faire comme par le passé. Pour le moment, il est difficile de dire si on va être capables de rattraper le tout dans les années à venir », déclare M. Marcoux.
La fermeture des écoles
L’ODSEF souligne par ailleurs la fermeture complète des écoles pendant quatre mois dans plusieurs pays africains. Au Burkina Faso, plus de 4,7 millions d’élèves n’ont pas pu bénéficier de l’enseignement à distance durant cette période, car une proportion importante de ménages n’ont toujours pas accès à l’électricité.
L’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF) redoutait quant à elle que l’arrivée de la pandémie au Canada prive de nombreux élèves de leur seul contact avec la langue française dans les milieux minoritaires francophones : l’école. L’organisme a fait valoir l’importance de la langue dans la construction identitaire des jeunes.
De plus, l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, qui travaille étroitement avec l’ACELF, a avancé qu’une personne à l’aise dans sa langue maternelle pourra apprendre plus facilement une deuxième ou une troisième langue par la suite.
Pour les deux organisations, la sauvegarde de la francophonie passe par l’éducation. Si le système scolaire est fragilisé, la langue qu’elle transmet en souffrira également.
Durant l’année qui s’est écoulée, l’ACELF a collaboré avec les écoles canadiennes pour développer de nombreux outils Web pour faire vivre la francophonie sur les plateformes virtuelles. Parents et enfants ont pu profiter d’expériences culturelles, comme des concerts et du théâtre en français.
« On voulait offrir des expériences qui allaient au-delà de l’activité pédagogique. Ce sont les arts et la culture qui nous ont empêchés de sombrer dans la grande noirceur et encouragés à partager notre langue », souligne Marcel Larocque, président de l’ACELF.
Les protecteurs de la francophonie
Contrairement à ce qu’on croit souvent, de nombreux jeunes s’impliquent dans la préservation de la langue française dans le reste du Canada. En effet, au fil des initiatives, M. Larocque a remarqué que de nombreux projets ont été portés par les élèves.
« Les valeurs humaines vont survivre aux apprentissages. Dans dix ans, les élèves auront peut-être oublié le nom des protéines du cours de biologie ou les techniques de théâtre apprises. Or, l’émotion ou l’état d’âme que le cours aura insufflés vont rester en eux », précise M. Larocque.
En remplaçant la socialisation dans la cour d’école par du temps d’écran, le président de l’ACELF craint toutefois que le niveau de la langue parlée s’étiole, car les modèles hybrides d’enseignement, alliant le présentiel et le virtuel, risquent de perdurer bien après la pandémie. Le français écrit quant à lui devrait mieux s’en sortir, car il dépend moins d’échanges informels entre amis.
Pour soutenir la langue française dans une communauté, M. Larocque conseille de prêcher par l’exemple à la maison. Les parents peuvent par exemple faire écouter à leurs enfants de la musique dans leur langue maternelle, les inscrire à des activités parascolaires francophones et acheter plus de livres en français.
« La protection de la langue française doit être un effort collectif. Comme le vieil adage le dit, il faut un village pour élever un enfant. L’école va le faire, parce que c’est inscrit dans sa mission, mais elle doit aussi compter sur le soutien des familles », conclut-il.
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